Depuis 2020, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) actualise son Mésusage de la télémédecine. Et les préconisations issues de la version 2022 seraient, selon la Caisse nationale d’Assurance maladie (Charte des bonnes pratiques de la consultation), opposables aux sociétés commerciales de télémédecine. Pourtant, deux d’entre elles semblent d’ores et déjà neutralisées par une décision « DocteurSecu ».
Depuis la première version de son Mésusage, le Cnom revendique une décision « DocteurSecu » du 6 novembre 2020. Le juge des référés avait ordonné la fermeture définitive du site, pour différents manquements, notamment déontologiques. Mais, en février 2022, la cour d’appel de Paris a commué la sanction en une fermeture temporaire, jusqu’à une décision « au fond », c’est-à-dire après un examen détaillé. Pour les seconds juges, les griefs initialement retenus ne seraient pas tous fondés. La victoire alléguée par le Cnom pourrait se transformer en une guerre d’usure, à l’issue plus aléatoire que cela ne transparaît dans le Mésusage.
L’ancrage territorial, principe général ou simplement condition au remboursement ?
Pour le Cnom, c’est clair. Le médecin qui fait de la télémédecine ne doit pouvoir intervenir que sur le territoire qu’il peut couvrir en « présentiel ». La Cnam y voit un « principe général » de territorialité, dont le respect s’imposerait de façon absolue. Toute organisation qui s’en dédouanerait serait illégale. Pour preuve, la décision « DocteurSecu » aurait initialement ordonné la fermeture « définitive » du fait d’un fonctionnement indépendant « de l’organisation territoriale prévue par la convention nationale ». En appel, l’argumentaire est balayé. Rappelant que la condition de territorialité ne vise que la téléconsultation remboursable, la cour conclut que DocteurSecu, non remboursable, n’avait pas à la respecter. Mais, respectivement, le site ne pouvait pas suggérer une possible prise en charge par l’AMO. Et c’est là que le bât blessait, la fermeture de DocteurSecu n’était pas liée à l’absence de rattachement territorial mais bien à une publicité trompeuse, « mensongère ». Le principe général de territorialité a donc du plomb dans l’aile.
Quant au paiement des honoraires, une simple revue du « parcours patient » suffirait à légitimer le modèle économique des plateformes. Pour le Cnom, le paiement des honoraires à une société de télémédecine violerait l’interdiction du partage d’honoraires, le droit au paiement direct et son interdiction en amont de la consultation. La Cnam, plus pondérée, accepte que les honoraires soient acquittés par le biais d’un prestataire de paiement en ligne ou intermédiés par la plateforme de téléconsultation.
La question du partage des honoraires
Le seul point bloquant tiendrait, pour elle, à la facturation en amont de la téléconsultation. En février 2022, la cour n’a repris que l’argument de la Cnam. Ce faisant, elle rejoint l’interprétation faite par le juge des référés du Conseil d’État, qui avait admis le partage des honoraires avec une société de télémédecine (Conseil d’État, 23 juillet 2014, n° 380474). Même si la décision ne fixe pas l’état du droit, la concordance de position des juges des référés suggère un doute sérieux quant à la remise en cause du modèle économique des plateformes de télémédecine. Sous réserve de nouveaux développements, les griefs du Conseil national de l’Ordre des médecins à l’égard du paiement des honoraires à des sociétés commerciales ne pèseraient alors qu’au niveau du « parcours patient » sur le site.
Des garde-fous suffisants ?
L’objectif de l’Ordre et de la Caisse est louable. Éviter que la télémédecine ne soit guidée par la rentabilité, sans considération liée à l’environnement du patient ou, pire, pour le patient lui-même. Mais l’indépendance professionnelle et l’obligation de proposer la consultation d’un confrère dès que les circonstances l’exigent ne suffisent-elles pas à éviter cet écueil ?
Me Pierre Desmarais
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