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Dossier

Twitteurs, blogueurs, surfeurs : les généralistes sur la toile

Qu’est-ce qui fait tourner la pl@nète MG ?

Publié le 27/02/2015
Qu’est-ce qui fait tourner la pl@nète MG ?


SPL/PHANIE

Au-delà d’un potentiel documentaire inépuisable, l’explosion d’Internet et des réseaux sociaux est pour certains généralistes une tribune et un lieu d’échange d’un nouveau genre. Jaddo, Borée, DocArnica, Fluorette, DrStephane ou encore DocteurMillie... Derrière ces pseudos se cachent des confrères qui réunissent plus d’abonnés sur Twitter que l’actuelle secrétaire d’Etat aux personnes handicapées. Leurs blogs et les articles qu’ils y postent réunissent au-delà des frontières du monde médical. Cet univers où chacun s’accompagne de son double virtuel a ses codes, ses usages et même ses stars...

L’avènement d’Internet a certainement permis d’alléger les bibliothèques des généralistes. Usage le plus évident et sans doute le plus partagé par l’ensemble des médecins, la recherche documentaire sur la Toile est rentrée dans les mœurs des médecins. Une logique qui limite le stockage en mémoire, et participe à une mécanique de réponse à la demande : « Avant la FMC c’était " j’apprends des choses, des fois que j’en ai besoin plus tard" (…). Internet a introduit là-dedans le «  just in time », l’information dont j’ai besoin quand j’en ai besoin. Avec Internet, vous avez d’un seul coup une gigantesque bibliothèque qui est ouverte et vous n’avez pas besoin d’encombrer votre mémoire, vos placards et vos étagères », explique Dominique Dupagne, généraliste à Paris, et créateur entre autres du site « Atoute.org », forum d’échanges médicaux. Une manière aussi de suivre l’évolution des connaissances « Ça fait dix ans que j’ai passé l’internat et, déjà, toute une partie de ce que j’avais appris à l’internat est périmée. Ce qui est important, finalement, c’est de savoir où aller chercher l’information et non de l’apprendre par cœur », souligne Bénédicte Barbarin, alias Farfadoc, généraliste de 33 ans, qui exerce en cabinet de groupe à Héric près de Nantes.
 

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Diagnostics et débats en ligne

Grâce aux réseaux sociaux ou autres espaces communautaires, « aller chercher l’information », c’est aussi désormais interpeller ses collègues virtuels. Alors que certains continuent d’utiliser forums ou espaces de discussion sur les sites Internet, l’avènement de Twitter a attiré une partie du monde médical, et en particulier des généralistes. « Ce sont forcément des gens intéressés par les nouvelles technologies, un peu geek. Twitter se conçoit sur plusieurs supports, les médecins vont y aller depuis leurs smartphones ou leurs tablettes », explique Jean-Jacques Fraslin, généraliste de 55 ans à Bouguenais, près de Nantes, et actif sur internet depuis le tout début.

Partager de l’information, débattre d’un projet de loi ou discuter d’un diagnostic... Les généralistes de la Toile tirent profit du réseau social dans leur pratique. Bismuth, généraliste de 55 ans dans la Drôme, a découvert Twitter un peu par hasard : « L’application était là quand j’ai acheté le smartphone » . Depuis, il considère l’outil comme précieux : « On voit les pratiques de chacun se décrire. On a le point de vue de différents collègues qui font le même travail que nous et qui nous expliquent comment ils pratiquent tel ou tel geste, la problématique qu’ils ont sur tel ou tel problème. Et, en fait, ça aide à apprendre des autres, de voir comment eux font les choses », explique-t-il.

Le réseau social permet aussi un accès plus direct à certaines informations ou personnes : « Quand on a un problème, qu’on demande au vice-président de l’Ordre ce qu’il en pense et qu’il vous répond : "non ça, ce n’est pas déontologique ", c’est assez fabuleux », ajoute-t-il. Une façon de démythifier et faire connaître un peu mieux les institutions : « MissCiboulette qui travaille à la Sécurité sociale et ses explications "de l'intérieur" sur cette grosse machine administrative sont riches d'enseignement », explique L’Arnal, généraliste installé depuis deux mois en zone rurale dans le Sud-Ouest et blogueur et twitteur actif.

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Des codes bien particuliers

Le milieu médical sur Twitter a même créé ses propres codes. En lien direct avec leur pratique de généraliste le hashtag « toctoc » permet d’interpeller sur Twitter les autres professionnels de santé pour un diagnostic, une question précise : « On crée un tweet très court avec le hashtag “Docstoctoc”, parfois avec une photo.

Cela peut nous aider à prendre une décision, à savoir si c’est rare ou pas. C’est intéressant, notamment en dermatologie », explique le Dr Fraslin. « Avec “Docstoctoc”, j’ai une réponse d’un dermatologue en dix minutes, ce qui est extrêmement difficile à avoir en temps normal », ajoute Bismuth. « Ce n’est pas parce qu’on le trouve sur Twitter que c’est vrai, mais si on le trouve là et qu’il y a plusieurs personnes qui le disent, et que derrière on a la bibliographie avec des études bien faites, pour le coup on peut se reposer dessus et on a trouvé plus facilement », explique le Dr Barbarin.

Un lieu où les disciplines se rencontrent

Cet échange entre disciplines c’est aussi ce qui fait la force du réseau social. « Ce qui est intéressant, c’est qu’on est très transdisciplinaire. On n’est pas du tout restreint à l’entre-soi. Certes, parmi les gens avec lesquelles j’interagis le plus, il y a pas mal de généralistes, mais ce n’est pas, de loin, la totalité », confie Borée, détenteur d’un blog et d’un compte Twitter depuis 2010. Même constat pour le Dr Barbarin : « Ça m’a permis de beaucoup mieux connaître d’autres professionnels de santé avec qui je n’avais pas eu forcément l’occasion de travailler. Je pense notamment aux sages-femmes, j’ai découvert totalement cette profession en lisant “10lunes” ou d’autres sur Twitter ou sur leurs blogs ».

Bien souvent le débat médical sur Twitter est spontané, provoqué par une actualité, la question d’un médecin, mais il peut aussi être planifié. C’est le cas par exemple, des discussions de MedEd France qui ont lieu tous les jeudis à la même heure, sur un sujet autour de l’enseignement en santé. Le Dr Barbarin, qui est aussi enseignante en médecine générale, essaie d’y participer chaque semaine : « C’est un concept américain et Christine Maynié-François, généraliste et chef de clinique à Lyon, a voulu l’importer en France. Tous les jeudis pendant une heure, tous ceux qui le veulent peuvent participer avec le hashtag “mededfr”. Plus il y a des personnes d’horizons différents, plus c’est riche ». Au cours des discussions MedEd France, des patients participent parfois.

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Des interactions avec les patients

La facilitation de la relation médecins-patients, c’est aussi un des apports du Net. Les interactions avec les patients existent sur les réseaux sociaux, à travers les blogs même si elles peuvent parfois être compliquées : « Il y a des limites de langage. Quand je pose une question médicale sur un sujet très précis, il est normal que les patients ne se sentent pas plus concernés », reconnaît Borée.

Un constat partagé par le Dr Barbarin : « J’ai l’impression qu’il y a des interactions avec les patients. Mais je sais qu’il y a beaucoup de patients qui trouvent qu’on reste beaucoup entre nous ». « Les interactions médecins patients, ça reste peu de chose, les patients sont à la recherche de réponses concernant leur santé, ils sont plus à l’aise en discutant entre eux. Les médecins c’est pareil, ils n’aiment pas trop être challengés par des patients experts. Et puis il y a l’éternel problème des espaces ouverts sur Twitter. Quand on commence à parler de patients, il y a une espèce de révélation de l’intimité qui pose problème et qui n’est pas si simple à accepter pour tout le monde » souligne le Dr Dupagne.

Même si cette communauté virtuelle tend à augmenter chez les généralistes, son poids reste malgré tout marginal dans la profession. Sur Twitter ou les blogs, on retrouve les mêmes personnes : « Ce sont des gens qui sont à l’aise avec ce concept de communiquer sur l’espace numérique. C’est-à-dire très peu de médecins en pratique, la majorité des médecins ont le nez dans le guidon et n’ont pas le temps de taper sur un clavier, ça ne les intéresse pas », souligne Dominique Dupagne. Si l’on trouve des médecins d’un peu partout en France et qui exercent à la fois dans le milieu rural et en ville, plusieurs reconnaissent tout de même « un biais de recrutement » : « Ce qui nous caractérise, c’est le fait d’être relativement à l’aise avec les nouvelles technologies et cette volonté d’échange et de sortir de la relation verticale avec le patient. Certaines personnalités s’y retrouvent bien plus que d’autres : les mandarins classiques ou le médecin qui tourne à 50 actes sur la journée, déjà il n’aura pas le temps et certainement pas l’envie. C’est des gens qui n’ont aucun besoin d’échanger, de partager ou de se remettre en question. Il y a un biais de personnalité qui recoupe en partie, mais en partie seulement, une question générationnelle », explique Borée.

Qui se ressemble, s’assemble

Une communauté restreinte donc qui est aussi attirée par ceux avec qui ils ont des affinités : « On a tendance à se rapprocher des gens qui nous ressemblent. Il y en a avec qui j’interagis très peu sur Twitter parce qu’on n’a pas forcément la même sensibilité. Même si on peut avoir des débats avec certains », confie Bénédicte Barbarin. « Je suis tenté de dire qu’il y a quand même un côté élite. Ce sont des médecins qui se posent des questions qui cherchent à faire le mieux, à faire le meilleur. Donc, ce sont des gens qui sont exigeants vis-à-vis de leur exercice, vis-à-vis de la position de leur métier et c’est quelque chose d’assez frappant. Par exemple sur Twitter, ce sont des gens que je trouve extrêmement brillants, pas par leur connaissance médicale mais par leur humanisme », note le Dr Dupagne.

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Un cercle de médecins connectés qui possède aussi ses grandes figures : « C’est comme dans un établissement scolaire, il y a la cour des petits et la cour des grands. Certains sont dans la salle des profs, dans leur tour d’ivoire, eux, ils parlent et tout le monde écoute », décrit ainsi Bismuth. Et finalement même s’il y a eu une expansion, des réseaux sociaux notamment, les effectifs restent toujours pour l’instant au même niveau, « sur Twitter, il n’y a pas d’explosion, on ne sent pas un décollage. On voit toujours un peu les mêmes têtes. Je ne vois pas Twitter devenir un outil totalement banalisé chez les médecins dans cinq ans », pronostique Dominique Dupagne.

Une « avant-garde éclairée »

Même s’ils ne sont pas si nombreux, blogueurs et twitteurs se comportent parfois comme une avant-garde éclairée, quitte à se comporter en lanceurs d’alerte. En 2012, avec l’opération « PrivésDeDéserts », ils crèvent l’écran: 24 médecins blogueurs font des propositions pour en finir avec les déserts médicaux. Relayée sur Twitter notamment, l’opération arrivera même jusqu’aux oreilles de Marisol Touraine, qui les recevra. Un an plus tard, à l’occasion de la présentation de la Stratégie Nationale de Santé, ils récidivent avec une autre opération « PrivésDeMG », pour sauver l’avenir de la médecine générale et des soins primaires.

Le généraliste est un être communiquant

Pour ces généralistes connectés, les réseaux sociaux et Internet en général représentent donc un creuset d’idées sur la pratique de la médecine, la relation avec les patients, mais c’est aussi un lieu d’expression, particulièrement sur les blogs. Ces dernières années, plusieurs blogs médicauxde généralistes ont rencontré un fort succès. Jaddo, Fluorette, Alors Voilà, tous se sont même vus proposer de sortir un livre regroupant leurs écrits. Borée est l’un de ceux-là également, si aujourd’hui il a un peu laissé de côté son blog, pendant quatre ans il y a posté régulièrement des articles très lus et commentés : « C’était une époque où je commençais à découvrir le blog des autres, en particulier celui de Jaddo. Un jour je cherchais une information sur une question précise, je n’ai trouvé la réponse qu’en anglais donc j’ai décidé de la traduire. Et puis globalement je me suis dit, peut-être que moi aussi j’aurais des choses à dire, comme d’autres l’ont fait ».

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Si beaucoup ont voulu se lancer en lisant les blogs des autres, certains avaient également à cœur d’exprimer un point de vue différent. C’est le cas de L’Arnal : « J’étais épaté de lire des supers blogs mais ce qui me chiffonnait, c’était le grand pessimisme. Certains parlaient de déplaquer, beaucoup de jeunes médecins semblaient réticents à s’installer. Ce n’était pas mon cas et, tout en tentant d’être réaliste, j’avais envie de donner mon point de vue ». Par leurs écrits, ces généralistes dessinent aussi une image de la médecine générale aujourd’hui : « La grande vertu de cela, c’est également de donner à voir à l’extérieur ce qu’est la médecine au quotidien parce qu’on a énormément de lecteurs qui ne sont pas médecins, souligne Borée, pas seulement le truc fantasmé ou l’image classique du médecin en burn-out et suractivé. Il y a un rôle de témoignage par rapport à notre exercice qui me semble important ».

Une préoccupation humaniste très forte

Témoignage justement qui pourrait bien être une caractéristique du généraliste. Avant Internet, de nombreux médecins avaient déjà pris la plume pour se raconter et, à l’heure d’Internet, ils ont choisi le blog, plus immédiat et interactif. Si les généralistes sont plus enclins que d’autres spécialités médicales à utiliser blogs et réseaux sociaux, la raison est peut-être inhérente à leur spécialité. « Je pense que les généralistes par leur activité globale, humaine, prenant le patient dans sa globalité ont une espèce d’exigence humaniste et non technique qui fait qu’ils ont un besoin de communiquer entre eux pour échanger à ce sujet. C’est chez les généralistes qu’on trouve les personnes les plus attirés par ce type de communication, explique Dominique Dupagne. Quand vous lisez Jaddo, Borée ou Fluorette, on parle d’humain. Donc il y a quand même une importante représentation de gens qui ont une exigence ou une préoccupation humaniste très forte. »

Le mode d’exercice du généraliste, plutôt individuel même quand on n’exerce pas en solo, joue aussi un rôle dans cette volonté de communiquer : « Globalement, c’est un endroit qui permet de sortir de la solitude de nos cabinets qui est souvent assez marquée » note Borée. « Twitter, par exemple, a aussi une fonction sociale. On se dit bonjour quand on commence le matin, et puis on peut remonter le moral de certains », ajoute le Dr Fraslin. Internet permet à certains de travailler en équipe même quand ils travaillent seuls. « Quand on travaille ou qu’on a fait nos études à l’hôpital, on a l’habitude de pouvoir discuter des patients. Quand on se retrouve en médecine générale, on est quand même en tête-à-tête avec les patients et il y a des moments où on se retrouve avec des interrogations. Et c’est vrai que twitter très clairement, ça permet d’avoir son équipe dans sa poche », explique le Dr Barbarin.

Remettre Internet à sa juste place

Si l’usage d’Internet et des réseaux sociaux peut permettre à certains de combler un manque dans les relations sociales, il est parfois aussi abandonné au profit de contacts moins virtuels. Depuis un an Borée a mis de côté son blog, en même temps qu’il arrivait en MSP : « J’ai beaucoup de choses sur place et j’ai peut-être moins besoin d’aller chercher sur les réseaux sociaux une ouverture ».

Reste qu’il faut aussi ramener Internet à sa juste place. Pour Bismuth, les échanges sur la Toile ne doivent pas essayer de prétendre à ce qu’ils ne sont pas : « La vraie discussion, la vraie collaboration, elle se fait par groupe de pairs autour d’un dossier médical et pas en 140 caractères. Il y a des gens avec qui on peut prendre du plaisir comme un joli paysage qu’on voit passer, mais c’est virtuel. Ce qu’on échange, c’est sans prétention et sans a priori puisque de toutes façons on ne se connait pas. à la limite, c’est honnête ».