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Dossier

Les réquisitions sont-elles en voie de disparition ?

Permanence de soins

Publié le 15/11/2013

Et si la reprise en main de la permanence des soins par les ARS avait signé la fin des réquisitions ? Neuf mois après le dernier rapport de l’Ordre des médecins qui déplorait une progression du phénomène, les coups de force des pouvoirs publics semblent se faire de plus en plus rares sur le terrain… Mais le sujet reste sensible. Les praticiens non volontaires qui sont épinglés continuent de très mal le supporter.

Les préfets auraient-ils renoncé à réquisitionner les médecins ? Oui, si l’on croit le dernier rapport de la Cour des Comptes. En planchant sur la permanence des soins, les « sages » de la rue Cambon ont jugé les réquisitions trop rares et la procédure trop lourde. Ils ont proposé, pour y remédier, de « transférer le pouvoir de réquisition du préfet au directeur général de l’Agence régionale de santé ». Une suggestion qui reviendrait à enfoncer une porte ouverte puisque, dans les faits, ce serait déjà le cas, selon un responsable ordinal. Même si ce sont toujours les préfets qui réquisitionnent, c’est aux DG d’ARS qu’il faut désormais rendre ses comptes. Pourtant, ces derniers ne semblent pas pressés d’y recourir…

Après une période de transition, pendant laquelle on a assisté à la mise en place des cahiers de charges régionaux, les ARS ont été confrontées, en effet, à l’organisation de la permanence des soins. Et même s’il faudra attendre début 2014 le prochain rapport de l’Ordre pour le confirmer, que ce soit du côté des responsables ordinaux, syndicaux ou des unions, on juge désormais que le problème des réquisitions est devenu marginal.

Un reflux qui peut paraître paradoxal alors même que, tout juste neuf mois auparavant, le CNOM déplorait encore, en janvier dernier, une « augmentation inhabituelle » du nombre des départements concernés par les réquisitions : 26 départements y ont eu recours en 2012 contre seulement 19 en 2011. Ratio d’environ un sur quatre qui, déjà, ne permettait pas vraiment de juger de l’importance numérique du phénomène puisqu’on ignore combien de praticiens sont concernés par département. Selon les estimations, leur nombre varierait du simple (une vingtaine par an selon le président de la CSMF) au quadruple (une centaine, selon un généraliste FMF régulièrement réquisitionné).

Le reflux semble général...

À défaut de pouvoir obtenir des statistiques précises – même l’Ordre affirme ne pas détenir ces informations –, on devra donc se fier aux appréciations des uns et des autres. Président de la Conférence des URPS, Philippe Boutin signale « quelques cas » sporadiques, relevant, selon lui, de « querelles de personnes plus que d’un problème d’architecture du système des soins ». « On n’est pas sur des réquisitions pour la PDSA, les conflits concernent la permanence administrative ». Certes, on parle beaucoup d’Angoulême depuis qu’un conflit oppose les généralistes réquisitionnés pour les gardes à vue aux autorités locales. Mais pour aiguë et médiatisée qu’elle soit, l’affaire semble être un cas à part. Un conflit « loco-local », comme le définit Philippe Boutin, assez loin du quotidien vêcu par la plupart des généralistes français…

Sur le phénomène dans le reste de l’Hexagone, la plupart de vos représentants ne semblent pas avoir très envie de s’apesantir. Peut-être parce que l’urgence est de faire marcher la machine PDS plutôt que de s’arrêter sur ce qui ne fonctionne pas… À la CSMF, Michel Chassang parle de réquisitions « ponctuelles et marginales ». Et, en s’attaquant à la PDS, la Cour des Comptes serait, selon lui, en train de « stigmatiser un système qui marche bien ». Laconique, Claude Leicher signale simplement qu’« il n’y a pas beaucoup de réquisitions ». « Aucun dossier en cours », assure le président de MG France. Sur le terrain, en Auvergne, son confrère, Roland Rabeyrin (MG France) constate lui aussi une situation calme « en dépit des récentes resectorisations ». Plus surprenant, même Claude Bronner, le président d’Union Généraliste, syndicat dont le soutien aux généralistes enquiquinés est plutôt le fond de commerce, estime aussi que « des réquisitions pour les gardes, il n’y en a pratiquement plus ». Plus à l’ouest, dans le Calvados, le très combatif Gilles Tonani (FMF) semble résigné à déposer les armes face à une PDS si bien organisée qu’elle ne nécessite pas d’employer les moyens forts. Le temps de la coordination nationale et des grèves des gardes semble, de ce point de vue, révolu quand on entend le président de la FMF Jean-Paul Hamon parler volontiers des zones où « ça marche bien ». Ce qui ne l’empêche pas de râler lorsqu’il évoque Angoulême et ses généralistes victimes de « méthodes d’un autre âge pas dignes d’un pays développé ».

Certains confrères piégés

À l’UNOF, Luc Duquesnel explique que, depuis 2002, la PDS s’est « pas mal réorganisée ». « Les réquisitions sont un phénomène aujourd’hui marginal », dit-il. Cependant, « dans les territoires où il y a des conflits », les réquisitions continuent bel et bien d’exister. Mais peut-être parce que le sujet est sensible – il touche à la solidarité confraternelle – le nouveau président de la branche généraliste de la CSMF semble hésiter avant de lâcher que, dans certains secteurs, certains médecins volontaires laissent exprès des trous dans les tableaux de garde… Qui finissent par être remplis des noms des non-volontaires !

Dans certains territoires, le volontariat de la garde relèverait donc d’une illusion d’optique. Aussi, même si elles semblent plus rares qu’autrefois, les réquisitions n’ont pas disparu pour autant. Les non-volontaires se retrouvent parfois à être inscrits d’office. Ceux qui les subissent les supportent mal et n’hésitent pas à les contester quitte à se retrouver au tribunal. C’est le cas du Dr Serge Ségu (voir témoignage) qui vient de remporter un procès contre le préfet d’Eure-et-Loir. Le Tribunal administratif d’Orléans a, en effet estimé, que sa réquisition était abusive et a donc condamné l’État à lui verser une indemnisation de 1 000 euros. Mais, parfois, les réquisitions découragent les vocations. En témoigne le Dr Jacques Sicard qui a dévissé sa plaque en 2010 (voir témoignage) avant de se reconvertir en tant que médecin salarié en EHPAD. L’activité salariée de Patrick Chemin, son confrère d’Eure-et-Loir qui travaille lui aussi en EHPAD tout en gardant un pied dans le libéral, ne l’empêche pas d’être régulièrement réquisitionné (voir témoignage). Enfin, la ténacité du Dr Raymond Marciacq a eu raison du dispositif. Rayé de la liste des médecins susceptibles de participer à la PDS, libéré de la hantise des gendarmes, il coule désormais des jours heureux à Rouen après moult déménagements (voir témoignage).

Objectif « zéro réquisitions » ?

Des cas rares certes mais bien réels. Qui montrent que loin du « tout réquisitions », on n’a pas encore atteint l’objectif « zéro réquisitions ». Pour y parvenir, tout serait affaire de bonne volonté – et de sous – de l’avis du Dr François Simon, chargé du dossier au CNOM. Pour lui, une démographie médicale « acceptable » est la condition indispensable pour dire adieu aux réquisitions. Et il plaide pour une pause dans la resectorisation, des secteurs trop étendus pouvant décourager les médecins. Mais, surtout, ceux qui prennent leurs gardes doivent à ses yeux y trouver leur compte : des « enveloppes ajustées et cohérentes » pour la PDS et, par conséquent, des « rémunérations encourageantes » pour les volontaires, comme ça se passe en Ile-de-France. Le secret d’une PDS réussie réside aussi dans la « coopération entre ville et hôpital » comme dans le Calvados où « la nuit, on peut dormir, ce qui incite les médecins à s’installer », souligne, enfin, Jean-Paul Hamon qui évoque aussi l’exemple de la région Midi-Pyrénées où la régulation « organisée par les libéraux » évite aux patients, des déplacements inutiles... et aux médecins des réquisitions intempestives !