En 1960, la France comptait 46 millions d’habitants. Elle en compte 68 millions aujourd’hui. Sur la même période, la densité médicale est passée de 119 médecins pour 100 000 habitants, à 311. Si le ratio peut marquer une plus grande capacité à accéder à un médecin traitant, il apparaît, à y mieux regarder, qu’ici comme ailleurs comparaison ne vaut pas raison tant les éléments de diagnostic ont évolué, et les parcours de soins se sont complexifiés ; ne serait-ce que parce que dans les années 1960, tout médecin était généraliste, induisant une demande moindre et non fragmentée par spécialité, et cela pour une population inférieure de 47 %.
On compte 44 spécialités médicales
Si de 1960 à 1970, 11 spécialités médicales furent créées, en 2023 il s’en dénombre… 44. Autant de spécialités qui représentent plus de 130 000 praticiens, reléguant la part de généralistes à moins de 100 000. De fait, à densités comparées de généralistes par habitant, les Français sont aujourd’hui moins bien lotis que leurs prédécesseurs. Un constat qui, d’ailleurs, n’exclut pas celui d’une pénurie non seulement de médecins généralistes mais aussi de praticiens dans de nombreuses spécialités. Les patients ne s’y trompent pas dans leur pratique du besoin en soins, avec des rendez-vous de plus en plus longs à obtenir, des délais de suivi qui s’étirent dans le temps, et un doute grandissant sur la capacité des autorités à prendre la mesure du phénomène en cours.
Ainsi, pour considérer la densité médicale convient-il d’identifier tout d’abord la catégorie de médecins concernée : spécialistes ou généralistes. Il existe une différence importante de leur évolution démographique respective. Pendant que le nombre de spécialistes augmentait entre 2010 à 2022 de 6,6 % celui des généralistes diminuait de 9,4 %. 10 128 généralistes perdus en douze ans et un accès aux soins qui fléchit. C.Q.F.D.
Sur ce point, le ministère de la Santé le dit lui-même : la densité nationale de généralistes baisse de 8 % entre 2012 et 2022 ; ce qu’il dit moins, voire pas du tout, c’est la disparité territoriale qui s’accroît. En Île-de-France, région devenue le premier désert médical, la densité en praticiens a baissé entre 10 % et 15 %, alors que les départements de Martinique, Hautes-Alpes, Savoie, Morbihan voyaient la leur croître entre 18 % et 20 %.
Les trois facteurs majeurs d’une pénurie
Un mouvement général se dessine. Seulement deux départements sur dix gagnent en nombre de généralistes entre 2010 et 2022 ; les autres sont en baisse (1). Ainsi, augmenter le numerus apertus est une nécessité numérique.
L’appétence des jeunes pour les études en santé est, ensuite, un point majeur pour évaluer les solutions pouvant être projetées en réponse à la difficulté croissante d’accéder aux soins de proximité. Comme développé dans le récent rapport de l’institut Chiffres & Citoyenneté sur les déserts médicaux (2), plus d’un jeune sur deux orienté en médecine remet ce choix en question et plus de 7 % abandonnent alors que 54 % réfléchissent à quitter la France pour exercer.
La consommation de services de santé a triplé en dix ans
Enfin, convient-il de tenir compte de l’espérance de vie moyenne en 1968 qui était de 75 ans pour les femmes et 67 ans pour les hommes. En 2024, celle-ci dépasse respectivement les 85 et 79 ans. Cette différence amplifie l’« effet boomers », avec en outre l’évolution des mentalités et attentes des patients. Les seniors alors ne représentaient pas la première catégorie de patients aux urgences, et une mortalité plus précoce n’entraînait pas de prise en charge complexe, longue et coûteuse. Aujourd’hui, l’usage du médical est devenu en partie consumériste, au même titre qu’un banal produit ou service. Les pathologies ont aussi évolué, qu’elles proviennent de causes environnementales ou sociétales, elles multiplient les consultations médicales.
La consommation de services de santé a triplé en dix ans (3). Alors que le nombre de patients pris en charge sur une année a augmenté de 5 %, celui d’actes effectués par les médecins a baissé de 3 %.
À terme, le nombre de médecins formés devrait mécaniquement entraîner un assouplissement de la pénurie de praticiens. Une amélioration de la répartition devra s’appuyer sur des mesures fortes organisationnelles, financières ou administratives, mais aussi, comme souligné par l’institut Chiffres & Citoyenneté, sur la mutualisation des ressources, l’extension des compétences, et l’amplification du recours aux nouvelles technologies.
(1) 2022 projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale. Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale annexe 1 maladie et RecoMédicale 2023.
(2) Dr B. Duclos, Dr P. Fan, O. Peraldi, Irriguer les déserts médicaux : pour des oasis de santé, rapport de propositions, institut Chiffres & Citoyenneté, avril 2024 (téléchargeable sur www.chiffres-citoyennete.fr).
(3) Drees, 2017, n° 1027.
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