Tribune

Moratoire sur les fermetures de maternités : « La communauté médicale ne peut pas soutenir une proposition de loi qui s’oppose à la qualité et à la sécurité des soins »

Publié le 02/06/2025
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Le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi aux autres spécialités (Snphare), le Syndicat national des gynécologues obstétriciens en France (Syngof), le Syndicat national des pédiatres en établissements hospitaliers (SNPeH) et SAMU-Urgences de France (SudF) (membres de l'union syndicale Avenir Hospitalier/APH) dénoncent l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale le 15 mai de la proposition de loi visant à imposer un moratoire sur les fermetures de maternités.

Crédit photo : DR

Les députés de l’Assemblée nationale ont adopté (97 voix pour, 4 contre, 23 abstentions et 453 absents) une proposition de loi issue de la niche parlementaire du groupe LIOT, visant à imposer un moratoire sur les fermetures des maternités, y compris celles réalisant moins de 300 accouchements par an (soit, en moyenne, moins d’un accouchement par jour) – qui sont en pratique les maternités les plus concernées par les fermetures.

Cette proposition de loi fait suite au constat d’une augmentation de la mortalité infantile depuis plusieurs années et à la publication récente d’un livre menant une enquête tirant des conclusions plus ou moins étayées et dénuées de la rigueur scientifique qu’on pourrait en attendre. Il s’agit d’une proposition de loi purement électoraliste : la fermeture définitive d’une maternité est toujours vécue comme un échec pour les élus, qui se sont toujours battus pour maintenir « leur » maternité quoi qu’il en coûte…

Cette mesure, sous prétexte d’accès aux soins pour tous et d’un mirage de sécurité et de qualité des soins, a été imaginée sans aucune concertation avec les professionnels concernés

Nous, gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, urgentistes, nous insurgeons vivement contre une telle manière d’aborder la périnatalité, en inscrivant dans la loi une mesure qui, sous prétexte d’accès aux soins pour tous et d’un mirage de sécurité et de qualité des soins, a été imaginée sans aucune concertation avec les professionnels concernés.

Cette démarche parlementaire est d’autant plus étonnante qu’une mission sénatoriale sur la périnatalité a eu lieu en 2024, et ne conduisait absolument pas à cette conclusion !

Rappelons tout d’abord que les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an ne bénéficient pas d’une autorisation de soins : elles ne devraient pas exister. Seule une dérogation de l’ARS le leur permet.

Rappelons également que plusieurs de ces petites maternités ont dû fermer par la pression des professionnels de santé suite à des décès maternels et néonataux évitables.

Il est impossible de maintenir des compétences, à moins d’un accouchement par jour, sur la gestion de ces complications imprévisibles (césarienne en grande urgence, hémorragie, détresse respiratoire néonatale, etc.).

Personne n’est choqué qu’on ne donne pas d’autorisation de coronarographie (pour traiter un infarctus en urgence), de radiologie interventionnelle (pour traiter un AVC en urgence), de cancérologie… dans des territoires où le nombre de patients traités serait insuffisant pour garder un niveau d’expertise et pour gérer les complications. Pourquoi prend-on ce risque pour des femmes jeunes et des nouveau-nés ? Disons-le clairement : s’agit d’une violence supplémentaire faite aux femmes et aux nouveau-nés.

Sous couvert de réduire la mortalité infantile (ce qui serait d’ailleurs faux), la proposition de loi ne prend pas en compte la mortalité maternelle. Quoi qu’il en soit, aucun lien n’a été démontré entre la mortalité infantile et maternelle et la seule taille de la maternité.

Pénurie de médecins et stabilité des équipes

Par ailleurs, l’existence d’une maternité sous-tend la disponibilité H24 d’un gynécologue-obstétricien, d'un anesthésiste-réanimateur, d'un pédiatre ; l’absence d'un de ces trois acteurs entraîne la fermeture temporaire de la maternité… ou l’utilisation de solutions dégradées non réglementaires et dangereuses pour la femme et l’enfant à naître. Compte tenu de la pénurie de médecins dans ces trois spécialités, allouer autant de personnels pour une si faible activité ne peut que nous interroger sur la pertinence de s’opposer à un regroupement des maternités. Il s’ensuit l’absence d’équipe stable (recours constant à des intérimaires), ce qui altère nettement la qualité du travail d’équipe pourtant indispensable à la qualité des soins en salle de naissance.

Lorsqu’une de ces maternités ferme temporairement pour manque de personnel, l’activité doit être absorbée – souvent en urgence – par un autre établissement, sans adaptation des ressources humaines, dégradant encore la prise en charge des patientes et des nouveau-nés.

Dans ces conditions, le transfert en urgence vers des maternités à ressources humaines compétentes requiert l’utilisation d’une ligne de SMUR médicalisée (et on connaît la pénurie dans cette spécialité également), la perte de temps induite étant une perte de chance pour la mère et/ou le nouveau-né.

Les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an sont donc des maternités « dangereuses ». L’article 2, alinéa 1 se contredit donc lui-même : nous, professionnels de la salle de naissance, nous le savons tous. Une enquête réalisée en 2018 montrait d’ailleurs que les moyens humains en anesthésie-réanimation étaient très insuffisants en cas de complication dans les maternités réalisant moins de 2 000 accouchements. L’alinéa 3 du même article, demandant un rapport permettant de donner les moyens de faire fonctionner des maternités réalisant moins de 300 accouchements par an, est donc une ineptie.

Une demande de poursuite de la révision du décret périnatalité

Une révision du décret de périnatalité – lequel date de 1998 – avait été commencée en 2018-2019. Ces travaux avaient permis de sérier les évolutions de ce décret, sur deux points précis : une adéquation des effectifs (sages-femmes, gynécologues-obstétriciens, pédiatres, anesthésistes-réanimateurs et infirmiers anesthésistes) à la taille des maternités : élément majeur de l’attractivité des salles de naissances pour ces professionnels, leur permettant de constituer des équipes stables et de travailler dans une ambiance sécuritaire ; et une labellisation des maternités par niveau adapté au risque maternel, à l’instar de ce qui existe pour les enfants à naître. Cette double définition (risque néonatal ET risque maternel) permettrait d’identifier, a priori et le cas échéant a posteriori, un adressage adapté de la mère et de l’enfant au bon endroit, dans le cadre d’un maillage territorial adapté au territoire et du réseau périnatal de région.

Interrompu officiellement par la crise Covid, l’ensemble des professionnels exige régulièrement une reprise de ces travaux, sans aucun engagement à ce jour des nombreux ministres qui se sont succédé depuis 2020.

La communauté médicale ne peut pas soutenir une proposition de loi qui s’oppose à la qualité et à la sécurité des soins, dans un but électoraliste au nom d’un « accès aux soins ». Les sociétés savantes se sont exprimées dans le même sens. Nous demandons, dans l’intérêt des mères et des enfants à naître : l’abandon des alinéas 1 et 3 de l’article 2 de cette proposition de loi ainsi que la réouverture des discussions sur la révision du décret de périnatalité, dans des dispositions pour la qualité sécurité des soins pour tous… Et non des maternités de proximité aux dépens de la qualité et la sécurité des soins.

Nous, syndicats SYNGOF, SNPHARE, SNPeH, SudF, représentants des médecins de la salle de naissance et de l’aide médicale urgente, sommes à la disposition des parlementaires et du ministre chargé de la Santé pour échanger sur l’ensemble de ces points.

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Le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi aux autres spécialités (Snphare), le Syndicat national des gynécologues obstétriciens en France (Syngof), le Syndicat national des pédiatres en établissements hospitaliers (SNPeH) et SAMU-Urgences de France (SudF) (membres de l'union syndicale Avenir Hospitalier/APH)

Source : lequotidiendumedecin.fr