La financiarisation de la santé consiste en la création de structures économiques privées, à partir de fusions acquisitions dont le but principal est de maximiser les profits. Cette stratégie financière est actuellement aisée car le secteur médical français est morcelé, les acteurs sont dispersés, la demande est croissante, et le système encore solvable. Commencé dans les Ehpad, poursuivi dans la biologie médicale, ce mouvement gagne d’autres domaines de la santé. L’anatomopathologie, les centres dentaires associatifs, et désormais l’imagerie médicale sont dans la ligne de mire.
Des économies drastiques imposées, bien souvent au détriment des patients
La finance utilise des levées de fonds selon le principe des « Hedge funds ». Cela nécessite l'achat permanent de nouvelles sociétés, afin de financer la dette créée par l’emprunt, finançant les achats précédents : c’est « l’effet de levier », un cercle dont il est ensuite difficile de s'extraire. Comme les opérations se font à des tarifs plus élevés que la valeur réelle des parts, des économies drastiques sont secondairement imposées, bien souvent au détriment de la qualité et des patients.
Les pouvoirs publics, dont on pourrait naïvement penser qu’ils devraient être opposés à ce type de montage, utilisent parfois les nouvelles marges créées par les financiers pour diminuer les cotations, en arguant de profits anormaux. Les indépendants peuvent disparaître, les patients devenant les clients de monopoles locaux, la qualité devient secondaire, la rentabilité maximale est recherchée au détriment des services rendus. Et incidemment, six groupes financiers possèdent près de 80 % de la biologie médicale de ville en France, et, du côté des Ehpad, un scandale comme Orpéa éclate.
Il n’y a qu’une solution pour éviter que ce qui est arrivé aux Ehpad et aux biologistes ne se généralise à l’ensemble du secteur : que la médecine privée reste aux mains des professionnels de santé, que le capital leur appartienne, que les soignants luttent contre les fonds d'investissement avec l’aide des pouvoirs publics et des Ordres professionnels. La situation de la biologie a en effet démontré à l’État qu’à force d’encourager les regroupements, le pouvoir de négociation et de fixation des tarifs lui échappait.
Un collectif pour défendre la radiologie
CoRaIL (Collectif pour une radiologie indépendante et libre) est une initiative récente dont le but est d’informer et de regrouper les acteurs indépendants du secteur de l’imagerie. Elle est née d’un constat simple : l’avancée du secteur de la finance en imagerie, aux dépens des groupes indépendants, résulte en partie de la méconnaissance du monde libéral par les jeunes radiologues. Le collectif comprend à ce jour 1 800 spécialistes de l'imagerie qui échangent dans le cadre d’une boucle de discussion (soit près d’un quart de la profession et une large partie des jeunes professionnels).
L’action principale du collectif consiste en la création d’un annuaire des centres indépendants d’imagerie détenus exclusivement par des radiologues exerçants, afin d’offrir une information claire aux internes, remplaçants et collaborateurs, dans le choix de leur lieu d’exercice, voire d’une future association. Chaque candidature est étudiée avant d’être validée (plus de 100 structures ont postulé à ce jour). CoRaIL a pour but, à terme, de bloquer la spirale infernale, risquant de mettre fin à l’indépendance, en évitant aux plus jeunes d’y participer de façon involontaire. En ce sens, l’UNIR et la FNMR agissent de front et de concert.
Cette action ne peut cependant pas se concevoir sans le concours des Ordres professionnels, qui se renforce progressivement. Certains rachats ne respectant pas les conditions déontologiques légales ont par exemple été bloqués par des CDO, et il est tout à fait possible à l’avenir que certaines transactions passées soient ré-étudiées. Les médecins cédants s’exposent en effet à des conséquences éventuelles de leurs choix car céder à un financier pourrait être interprété comme une limite à l’indépendance et indirectement à une altération de la qualité et de l’accès aux soins, pouvant nuire à la profession et aux patients. Cela peut aussi mettre en cause lourdement la responsabilité ordinale, la non-transmission de certains documents à l’Ordre pouvant engager un contrôle ordinal (pactes d’associés, protocoles d’accords, etc.). Car s’il est obligatoire de transmettre toutes ces pièces, les financiers demandent parfois que certaines soient « omises ».
L'inquiétude de l'Académie de médecine
L’Académie nationale de médecine s’est émue en juin 2022 des dangers de la financiarisation de l’imagerie, en soulevant les dangers pour les patients, et en demandant entre autres « que le principe d’indépendance des professionnels de soins soit inclus, en tant que principe déontologique fondamental, dans l’article L 162 – 2 du Code de la Sécurité sociale ». Cette juste inquiétude peut, et doit, être élargie à tout le secteur du soin. Car l'ultime menace est que le soin ne puisse se faire que s’il est hautement rentable. Dès 1968, la tragédie des biens communs a été théorisée par un biologiste dans la revue Science (1). Cette théorie est toujours d’actualité, car la propriété commune d’une ressource est toujours incompatible avec sa surexploitation menée uniquement par le profit. Ce bien commun, en l’espèce, est la Santé. Et l’issue ? La possible fin de l’assurance maladie actuelle, la perte de l'indépendance médicale, pourtant inscrite au Code de déontologie, et la qualité des soins centrée sur le patient.
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(1) Garrett Hardin, « The Tragedy of the Commons », Science, vol. 162, 13 décembre 1968
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