C’est avec une réelle satisfaction que j’ai lu l’interview Pr Isabelle Richard-Crémieux, directrice de l'École des hautes études en santé publique (EHESP), et Éric Breton, chercheur en promotion de la santé, paru dans le Quotidien du Médecin n°9999 du 6 octobre 2023 : « La greffe entre santé primaire et prévention est en train de prendre » sur lequel je propose ici quelques commentaires.
« Approche aux contours parfois mal définis en France, la santé communautaire mêle soins primaires, prévention et promotion de la santé. Si elle peine encore à s'imposer dans l'hexagone, un virage s'amorce », expliquent la Pr Isabelle Richard-Crémieux et Éric Breton.
« Approche parfois mal définie en France », la santé communautaire est depuis des décennies ou définie, ou caractérisée par nombre d’auteurs ou d’associations. Définie et souvent bien définie, mais par contre mal reconnue.
« En France, on utilise plutôt le terme d’action locale en santé » pour définir la santé communautaire dit Éric Breton. Non, action locale et démarche communautaire sont deux sujets différents ; même si la démarche communautaire est pertinente dans les actions locales de santé.
Pour Éric Breton « le but était de pointer l’absence de prise en compte des besoins locaux dans le développement des soins de santé et la nécessité d’intégrer, à l’échelon local, des éléments de prévention, de promotion de la santé, de protection sanitaire. » Alors que le but principal, essentiel, de la santé communautaire, c’est de rendre les citoyens acteurs de leur santé.
« La démarche implique un minimum de mobilisation de la population, et elle est beaucoup appliquée dans les pays hispanophones ou africains. Un des éléments pour renforcer la capacité d’une population à agir est sa participation. » La mise en œuvre de cette démarche, repose sur l’implication, dans la conception même des projets, puis dans leur mise en œuvre et leur évaluation, de l’acteur essentiel qu’est l’habitant-usager-citoyen.
« La pandémie de sida a réveillé la France sur la question de l’action locale en santé. » La pandémie du sida a surtout montré à l’époque les limites des connaissances médicales et des professionnels du soin, et l’importance, alors vitale, de la mobilisation des patients eux-mêmes. Un pas important en démarche communautaire était alors franchi, porté aujourd’hui dans ses divers projets par l’association Aides.
Pour la Pr Richard-Crémieux : « Il peut être utile de souligner que le terme « santé communautaire » est un faux ami en français. En français, le terme ne recouvre pas la dimension locale qu’il a en réalité. On parle ainsi d’action locale en santé »
Depuis quelque temps, le terme de santé communautaire est utilisé par nombre d’acteurs. Le choix de retenir ce terme déjà ancien, et largement utilisé dans le monde, tient à la dimension très globale et ambitieuse de ses caractéristiques ou « repères ».
« Beaucoup d’initiatives affichent une dimension communautaire. Comment faire le tri ? Quels critères retenir ? » Éric Breton explique par plusieurs exemples les conditions pour que l’on puisse parler de démarche communautaire.
On ne peut qu’approuver cette préoccupation de mieux identifier ce qui constitue – ou pas – une démarche communautaire. Avec le financement de la Communauté européenne, un collectif de trois pays (Belgique, Espagne, France, en lien avec le Québec) a élaboré huit repères pour la caractériser. (1)
Pr Isabelle Richard-Crémieux : « Je vois trois obstacles au développement de cette démarche en France aujourd’hui : la centralisation, avec des règles d’organisation identiques à Paris, Lille ou Marseille, et peu d’espace pour l’initiative ; le caractère hospitalo-centré du système de santé ; et le paiement à l’acte. Mais les trois sont enracinés dans l’histoire du pays et difficiles à modifier sans remous. »
Les obstacles au développement des démarches communautaires sont divers. Le premier est celui de la vision encore trop médico-centrée de la Santé. La santé, c’est le docteur ! Ce n’est que récemment que le rôle du patient-expert, en l’occurrence en éducation thérapeutique, a été reconnu et admis. Le second obstacle est celui des limites de la démocratie en santé. Un pas a été franchi avec la loi de 2002. La parole, l’intervention du citoyen sont encore largement contrôlées, et la santé communautaire, qui appelle à cette implication citoyenne, est donc regardée avec circonspection. Le troisième obstacle, est l’insuffisante inscription de la santé communautaire dans les projets associatifs, institutionnels, dans les CLS, CPTS, dans les projets des collectivités territoriales, dans les programmes des diverses institutions de formation (dont l’EHESP).
À la question : « Développer la santé communautaire en France impliquerait-il de créer de nouveaux métiers et de nouveaux rôles ? » Éric Breton répond : « Une enquête sur des CLS menée en Bretagne et en Pays de la Loire montre l’émergence de nouveaux métiers de coordination. Ces compétences ne sont pas forcément reconnues par le système et restent mal valorisées et mal rémunérées. »
Dans d’autres pays rompus aux démarches en santé communautaire, ont été créés des formations et des emplois spécifiques : infirmier en santé communautaire, animateur communautaire. Ce qui paraîtrait plus adapté dans le contexte français, c’est de créer des formations dans les établissements de formation des professionnels de santé, mais également dans les champs du social ou de l’éducation ; de prioriser des formations auprès de publics plus à même, par leurs missions ou postures, d’en favoriser la mise en œuvre (coordinateurs divers, médiateurs, associations, etc.), ou comme le dit Éric Breton « le besoin de profils capables de mobiliser les acteurs et les populations locales.
(1) Repères des démarches communautaires en santé
1- Concerner une communauté.
2- Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction et d’empowerment individuel et collectif.
3- Favoriser un contexte de partage de pouvoirs et de savoir.
4- Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté.
5- Mettre en place un processus d’évaluation partagée et permanente pour permettre une planification souple.
6- Avoir une approche globale et positive de la santé.
7- Agir sur les déterminants de santé.
8- Travailler en intersectorialité.
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