Le collectif s'insurge cependant contre les propos de la vice-présidente de l'Ordre des médecins concernant les violences faites aux enfants lorsqu'elle prétend que les condamnations de médecins suite à des signalements d'enfants en danger sont « minoritaires » et utilisées par « certains » « pour créer la phobie du signalement ».
Il s'agit là d'un processus peu honnête de tentative de renversement des responsabilités : ce sont bien les condamnations par l'Ordre (que la plupart des médecins connaissent) qui effraient les médecins. Parler de ces condamnations, c’est contribuer au débat national actuel sur les maltraitances faites aux enfants et chercher des voies d’amélioration pour la participation des médecins à la lutte contre ces maltraitances. En essayant de faire porter aux médecins sanctionnés la responsabilité de la crainte de tous les médecins à signaler, l’Ordre tente de les réduire au silence au lieu d’entrer dans une voie de discussion et de prise en compte des problématiques rencontrées dans la difficile lutte contre les violences intrafamiliales faites aux enfants.
Le collectif s’insurge également contre le mépris par l’Ordre des chiffres provenant de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant les signalements des médecins : « j'en ai assez d'entendre que seuls 5 % des médecins signaleraient les violences faites aux mineurs », avance le Dr Glaviano-Ceccaldi, alors même qu’il s’agit à ce jour des seuls chiffres de source sérieuse dont nous disposons (1). Ces chiffres ne peuvent être balayés d’un revers de main sans qu’une une autre étude venant les contredire puisse être citée.
Le collectif Médecins Stop Violences note que pour la première fois l’Ordre fournit des chiffres et admet donc que des médecins sont poursuivis pour des signalements et par là même que l’article 226-14 du Code pénal n’est pas respecté par les chambres disciplinaires.
Nous ne pouvons que constater, à la lumière des jurisprudences que nous avons recueillies, que les chiffres avancés par notre consœur sont sous-estimés.
En tout état de cause les 48 médecins évoqués par l’Ordre comme ayant été poursuivis suite à un signalement (alors que si peu de médecins signalent), sont 48 de trop. Même si au final tous ne sont pas condamnés, il s’agit de plusieurs années de procédure lourde pour le médecin, de perte de temps de soin, de dommage financier. De plus, chaque condamnation contribue à créer des jurisprudences qui permettront la condamnation d’autres médecins ayant seulement cherché à protéger des enfants.
On ne signale jamais de gaieté de cœur. L’Ordre réalise-t-il ce qu’implique le soin auprès de familles où existe la violence ? Ce qu’il faut comme connaissances, maîtrise de soi, patience, prise de risque, abnégation ? Signaler des faits de violences constatés ou allégués expose toujours celui qui le rapporte à des représailles. Par conséquent ce dont les médecins qui osent s’engager auprès de ces familles ont le plus besoin c’est d’être soutenus de manière inconditionnelle dans leur mission complexe et difficile. Même une seule condamnation serait une condamnation de trop.
L’Ordre ignore-t-il les chiffres effrayants des maltraitances en France et leurs conséquences sur la santé ? 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles (Conseil de l’Europe 2004). Les chiffres récents de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) démontrent une ampleur encore plus grande de ces violences. Un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents et 63 % de ces enfants tués étaient suivis par un médecin (Igas/Inspection générale de la justice 2018). 81 000 interventions par an des forces de l’ordre ont lieu pour des faits constatés de maltraitances sur mineurs (CNPE 2019).
Les effets sur la santé physique et mentale à l’âge adulte des maltraitances subies dans l’enfance ont été démontrés par de nombreuses études (dont l’étude américaine à grande échelle ACES). Le dépistage et le signalement de ces maltraitances constituent un enjeu éthique et de santé publique que l’Ordre ne devrait pas ignorer lorsqu’il traite une plainte contre un médecin signalant.
Le collectif Médecins Stop Violences comprend nombre de médecins formés aux maltraitances, notamment les médecins pédopsychiatres et pédiatres responsables des DU en expertise légale de l’enfant. Et demande l’ouverture de discussions de fond avec l’Ordre au sujet des violences faites aux enfants, dont, rappelons-le, 80 % ont lieu dans le milieu familial.
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(1) HAS : Repérage et signalement de l’inceste par les médecins : reconnaître les maltraitances sexuelles intrafamiliales chez le mineur 2011
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