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Dossier

Médias et Covid-19

Médecins stars du petit écran, pour le meilleur et pour le pire

Par Stéphane Lancelot - Publié le 25/09/2020
Médecins stars du petit écran, pour le meilleur et pour le pire


MR.PITUK LOONHONG

Depuis l'apparition du coronavirus, pas un jour ne passe sans qu’un médecin intervienne sur les plateaux télé pour décrypter l'évolution de l'épidémie ou commenter la stratégie gouvernementale. Si cette omniprésence médiatique a permis de relayer des messages de prévention, elle a aussi donné lieu à quelques prises de position excessives de prétendus experts, parfois préjudiciables à la profession. Rembobinage.

Les téléspectateurs s'étaient entichés ces dernières années de Dr House, des héros de Grey's Anatomy ou de Good Doctor. Depuis le début de la crise du Covid-19, ils ont découvert de nouveaux premiers rôles : le fort en gueule Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la FMF, toujours prêt à critiquer les incohérences gouvernementales ; le Pr Éric Caumes, chef du service de maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière, capable de dire mi-mars au ministre de la Santé que la France n'est pas prête à affronter un scénario à l'italienne ; ou encore l'extravagant Pr Didier Raoult, défenseur de l'hydroxychloroquine, qui avait qualifié en février le Covid-19 de « grippette ». Ces médecins et tant d'autres sont devenus incontournables dans les journaux, à la radio, dans les JT. Les chaînes d’information en continu se les arrachent. Fréquemment invités sur les plateaux télé avant l’épidémie de coronavirus, les médecins en sont devenus des piliers incontournables, certains habitués y ayant leur rond de serviette. On leur a d'abord demandé si ce virus, apparu en Chine, était susceptible d’arriver en France, puis si une épidémie était à craindre. Ces praticiens ont été interrogés sur la nécessité de confiner la population, l'utilité du port du masque, l'aérosolisation du virus, l'efficacité de l’hydroxychloroquine ou encore l'arrivée de la deuxième vague…

Et qui de mieux placés que des médecins pouvaient répondre à ces questions ? Pour chacune d’elles, les médias ont largement fait appel aux professionnels situés en première ligne pour intervenir en tant qu'experts. Qu’ils soient généralistes ou infectiologues, connus ou non, avec un discours raisonné ou alarmiste… Qu'importe, pourvu qu’il y ait un médecin sur le plateau !

Une mission de santé publique

Le Dr Jérôme Marty, généraliste et président de l’Union française pour une médecine libre – syndicat (UFML-S), s’est ainsi retrouvé à intervenir quotidiennement à la télé en mars et avril. Tantôt sur BFM-TV (chaîne appartenant au même groupe que RMC, où le praticien est chroniqueur dans l'émission des Grandes Gueules), tantôt sur Cnews ou LCI. Encore aujourd’hui, le Dr Marty confie être sollicité presque tous les jours. Cette surexposition médiatique, certes éprouvante, est jugée nécessaire par le patron de l’UFML-S. À travers ses apparitions, le généraliste de Fronton (Haute-Garonne) se positionne comme l’un des porte-parole de la profession. Dès le début de la crise, il est monté au créneau pour dénoncer le manque de protections des médecins libéraux exposés. « En tant que président de syndicat, je suis en relation permanente avec des milliers de soignants, fait-il valoir. Je sais donc ce qui se passe sur le terrain (…), j’ai la température ambiante en permanence et en direct. »

Les médecins ne défendent toutefois pas les seuls intérêts de la profession. Certains sont animés par un devoir pédagogique. Le Dr Matthieu Calafiore, directeur du département de médecine générale de la fac de médecine de Lille, et chroniqueur de l’émission William à midi ! (C8), s’évertue ainsi lors de ses apparitions télévisées à « tenter d’apporter un langage scientifique sans être trop technique (…) pour expliquer l’état actuel de la connaissance de l’épidémie ». « Notre objectif est de porter le message le plus neutre et bienveillant possible », explique le généraliste de Wattrelos (Nord). Apparu une quinzaine de fois à l’écran pour parler du coronavirus – en dehors de l'émission où il intervient chaque semaine –, le Dr Calafiore estime par ailleurs que les médecins de famille, « spécialistes de l’individu en général, du patient fragile âgé ou polypathologique », sont les mieux placés pour remplir cette mission pédagogique.

Cette présence des médecins sur les antennes permet en outre d’apporter de la contradiction aux messages diffusés par le gouvernement quand ceux-ci ne reposent pas sur des éléments scientifiques, note le Dr Michaël Rochoy, généraliste installé à Outreau (Pas-de-Calais). Cosignataire de plusieurs tribunes relatives au port du masque, il totalise 25 passages sur le petit écran depuis avril. « Ce qui me motive, c’est de délivrer le message de santé publique auquel je crois », confie-t-il. Lors de sa toute première apparition à la télé, un matin d’avril sur BFM-TV, le Dr Rochoy plaide ainsi en faveur du port du masque dans les espaces publics. À l’époque, celui-ci est encore jugé inutile par le ministre de la Santé, Olivier Véran. « Si ce ne sont pas les médecins qui font contrepoids, personne ne le fera », observe Michaël Rochoy, qui se démène aujourd'hui pour rendre le port du masque des enfants obligatoire dès 6 ans à l'école primaire.

Un exercice parfois périlleux

Quoique jugée essentielle par beaucoup, cette visibilité médiatique est un exercice pouvant se révéler dangereux, les intervenants s'exposant parfois à de mauvaises surprises. Intervenu via Skype dans une émission de Jean-Marc Morandini en avril, le Dr Calafiore avait pointé du doigt les « soucis méthodologiques » des travaux du Pr Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine. Le médecin confie s’être senti « pris au piège » car en plateau, les intervenants étaient acquis à la cause du virologue marseillais. De son côté, le Dr Rochoy est ressorti frustré d’un débat récent sur le port du masque à l’école primaire après qu’une représentante de parents d’élèves a affirmé que celui-ci n’avait pas fait ses preuves au collège et au lycée. « J’avais plein de réponses à lui apporter. J’ai essayé d’attirer l’attention pour répondre à cette intervention, se souvient-il. Mais le temps était écoulé. Le débat s’est donc fini avec une dame en plateau qui a dit complètement n’importe quoi sur le plan médical. »

Désappointé par le « format contraint » imposé par la télévision, le Dr Yvon Le Flohic, généraliste à Ploufragan (Côtes-d’Armor), préfère ne plus y apparaître. « J’y suis passé quatre ou cinq fois depuis le printemps (…) Parfois, on n'intervient que pendant deux minutes. Ce n’est pas suffisant pour développer un point de vue. Après, le plateau reprend la main et on ne peut plus s’exprimer. Et parfois, ce qui est dit est l’opposé de ce que l’on vient d’expliquer », regrette-t-il. Le généraliste estime qu'en intervenant trop, certains médecins ont porté atteinte à la « crédibilité de la parole médicale ».

Devant ces difficultés, la prudence doit donc être de mise pour les praticiens sous les projecteurs. « Il faudrait que les médecins apprennent à intervenir dans les médias. Cela ne s’improvise pas, il y a des façons de dire certaines choses, suggère le Dr Matthieu Calafiore. A contrario, il faudrait également que certains médias et journalistes se forment un peu plus aux thématiques de la santé pour pouvoir repérer quand un interlocuteur affirme des choses complètement erronées. »

Querelles et discours contradictoires

Dernière difficulté, et non des moindres : l’existence de contradictions notoires entre les discours des uns et des autres qui a, au mieux, semé la confusion chez des Français déjà déboussolés par les instructions changeantes du gouvernement, au pire nourri une défiance envers les soignants. Généralement envers ceux ayant osé critiquer le Pr Raoult. De quoi donner du fil à retordre aux médecins au moment de s’exprimer. Le Dr Calafiore constate ainsi l’apparition de nombreux « Jean-Michel virologue » sur les réseaux sociaux. « Ils ont l’impression d’en savoir beaucoup dès lors qu’ils ont un tout petit peu creusé le sujet », relève le généraliste-chroniqueur.

Perçu comme « lanceur d’alerte » lorsqu’il mettait en garde sur le manque de masques pour les soignants de ville, le Dr Jérôme Marty dit avoir par la suite été catalogué « suppôt du gouvernement » lorsqu’il a salué le changement de doctrine des autorités sur le port du masque.

« Avoir des voix discordantes est une bonne chose, analyse quant à lui le Dr Calafiore. Encore faut-il qu’elles s’appuient sur des raisonnements scientifiques. Ou des études menées de façon correcte. Il ne faut pas oublier que derrière les querelles entre médecins, il y a des patients que l’on va traiter. »

Interrogé il y a quelques jours par France Inter, le Dr Mathias Wargon, urgentiste à Delafontaine (Seine-Saint-Denis), a regretté l'hypermédiatisation de certains confrères. « On tâtonne sur un virus qui n’a même pas un an ! Et pourtant, les médias ont fait des vedettes de certains qui avaient des positions qui, scientifiquement, ne tenaient pas. Sur Raoult, on ne parle plus du fond de ses travaux mais de la forme, de Marseille contre Paris… Ce qui devrait être un débat intellectuel devient du pour ou contre. »

Dossier réalisé par Stéphane Lancelot