Dinaw Mengestu est né à Addis-Abeba en 1978 mais sa famille a quitté l’Éthiopie, alors dirigée par une junte militaire qui a fait régner la « terreur rouge », pour s’installer aux États-Unis en 1980. Son troisième roman, « Tous nos noms » (1), s’inscrit dans la continuité des « Belles choses que porte le ciel » et de « Ce qu’on peut lire dans l’air », qui lui ont valu maintes distinctions. Il s’est inspiré de sa propre vie pour écrire le parcours d’un étudiant ougandais contraint à l’exil par la guerre civile et qui a tout perdu, jusqu’à son nom ; pour décrire le sentiment d’être étranger à soi-même comme aux autres et la difficulté de se construire une identité afro-américaine. Dans le livre, la voix de celui qu’on appelle Isaac et qui témoigne du désenchantement et de la violence qui se sont installés dans l’Afrique des années 1970 après la décolonisation, alterne avec la voix d’Helen, une assistante sociale qui, par amour, va tenter de s’élever contre les inégalités raciales qui persistent dans la petite ville du Midwest où il échoue.
Figure importante de la littérature israélienne, proche du Camp de la paix, David Grossman, 61 ans, a obtenu le prix Médicis étranger en 2011 pour « Une femme fuyant l’annonce », où une mère partait de sa maison dans le fol espoir que sa disparition empêcherait son fils de mourir à la guerre. L’annonce d’une mort est aussi au cœur d’« Un cheval entre dans un bar » (2), un titre qui est le début d’une des blagues que l’humoriste Dovalé G. dévide sur scène. Dans une grande agitation et un délire verbal choquants, il interpelle et malmène le public en multipliant les plaisanteries salaces et les allusions politiques provocatrices, jusqu’à faire fuir le public. Ne reste qu’Avishaï, un juge à la retraite qu’il a invité, qui est son seul véritable interlocuteur et le narrateur de ce désastre. Dovalé raconte alors comment, lorsqu’il était adolescent et loin de chez lui, on lui a annoncé la mort d’un de ses parents sans lui préciser lequel et comment, dans la plus grande solitude parce que son ami Avishaï lui avait tourné le dos, il avait dû décider quelle mort, de son père ou de sa mère, il « préférait ».
Pièce de théâtre à l’origine, créée dans l’Irlande natale de son auteur Colm Tóibín et devenue roman en 2012, « le Testament de Marie » (3) est aujourd’hui traduit en français. Dans ce texte bref, Marie parle avec des mots très courts chargés d’émotion, non pas comme une sainte ou une icône mais comme un être humain, une femme, une mère, qui s’étonne encore du chemin qu’a parcouru son fils jusqu’au mont des Oliviers et dont la parole oscille entre la haine des hommes qui ont conduit son fils vers la torture et la mort et la culpabilité de n’avoir pas su le comprendre et l’aider. Le récit se situe au crépuscule de la vie de Marie, alors qu’elle est quasi prisonnière et interrogée sans relâche par deux anciens disciples qui tentent de lui arracher une version de l’histoire telle qu’ils souhaitent l’écrire pour les générations à venir.
La Russie et l’Alaska
Célèbre dans le monde entier grâce aux traductions de la biographie romancée que lui a consacrée Emmanuel Carrère, Edward Limonov s’est fait d’abord fait un nom comme poète à Moscou dans un cercle de dissidents au régime communiste, avant de s’exiler à New York puis d’investir Paris en 1980, où il a connu une certaine popularité grâce à ses récits autobiographiques (« le Poète russe préfère les grands nègres », « Journal d’un raté »). Soldat dans les Balkans aux côtés des forces serbes, il a fondé en 1993 le parti national-bolchevique (interdit en 2007 et remplacé par la formation l’Autre Russie), ce qui lui a valu quatre ans d’emprisonnement ; il se présente aujourd’hui comme un leader de l’opposition à Poutine. À 72 ans, Limonov ne rend pas les armes et, dans « le Vieux » (4), qui doit son titre au surnom que lui donnent ses proches, raconte à sa manière les principaux événements politiques russes des années 2011-2013, notamment ses relations avec les responsables les plus en vue de l’opposition.
Évidemment moins célèbre, puisque seul « le Présage du corbeau » a été traduit, Don Rearden, professeur d’écriture à l’université d’Anchorage, nous ramène, avec « Un dimanche soir en Alaska » (5), dans le pays où il a grandi et où il vit pour raconter le destin d’un village menacé de disparition. En attendant d’être déplacés et éloignés de la terre où plane l’esprit des ancêtres, les gens de Salmon Bay s’accrochent à leurs habitudes. Jusqu’à ce qu’une énorme faille commence à se creuser dans la glace, qui rend l’évacuation urgente. En s’attachant au destin de quelques habitants jusqu’à cette journée apocalyptique, l’auteur raconte le crépuscule d’une culture et d’un savoir-vivre en accord avec une nature qu’ils ne maîtrisent plus.
Satire chinoise
Une très bonne nouvelle de cette rentrée automnale est le nouveau roman de Yan Lianke, cet écrivain chinois né en 1958 dans une famille de paysans illettrés du Henan, qui a d’abord été écrivain officiel de l’armée avant d’exceller dans la littérature dite « mythoréaliste », qui consiste à montrer une réalité qui est dissimulée, au risque de voir ses œuvres mises à l’index par la censure (« le Rêve du village des Ding », « Bons baisers de Lénine », « les Quatre Livres », « la Fuite du temps »…). « Les Chroniques de Zhalie » (6) sont de la même eau inimitable, l’imagination la plus insolite allant de pair avec une lucidité implacable. Séduit par l’énorme somme que lui offrent les autorités de Zhalie pour rédiger l’histoire de la ville sous forme d’épopée glorieuse, un romancier se penche sur l’origine de cette métropole de 30 millions d’habitants et qui n’était, une trentaine d’années auparavant, qu’un pauvre village perdu dans les montagnes. Avant le mariage d’un voleur et d’une prostituée issus de familles rivales mais qui partageaient la même soif du pouvoir et de l’argent. Le chroniqueur découvre alors que la ville est à l’image de cette union et démonte le processus de conquête où l’ambition, avec tous les maux qui l’entourent, est le moteur d’un prétendu progrès. Cette histoire de ville fictive qui s’est construite sur la fosse des valeurs morales se lit comme une satire, drôle et tragique, de la société moderne chinoise.
(2) Seuil, 228 p., 19 euros.
(3) Robert Laffont, 126 p., 14 euros.
(4) Bartillat, 343 p., 20 euros.
(5) Fleuve , 415 p., 19,90 euros.
(6) Philippe Picquier, 516 p., 23 euros.
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