LE MOYEN ÂGE et la Renaissance ont posé l’existence d’un péché érotique ou désir de trop sentir (libido sentandi), mais aussi celui de vouloir connaître et savoir (libido sciendi). Bien sûr, on pensera à l’ancienneté de cette idée dans la bible, où le mal trouve son origine dans l’arbre de la connaissance elle-même, où le fruit est offert par Ève à Adam.
Le propos de Caroline de Mulder s’accroche habilement à la figure du savant. Avant même les Lumières, il est un personnage positif. Quoi de plus noble que l’esprit qui embrasse et possède la Nature ? Une Nature dont l’auteur nous révèle qu’elle est présentée comme une métaphore de la femme. Au travers de différentes sciences, anatomie, botanique, archéologie, le réel est manipulé, scruté, ouvert, vidé, mis à nu, inventorié.
Violence consentie.
Parmi ces figures du savant, dont on voit qu’il est animé par une violente libido sciendi, figure en bonne place le médecin. En effet, nous est-il précisé, « entre ses mains, la femme n’est pas seulement un symbole de la Nature qu’on examine, c’est aussi un être fragilisé à sa merci (...) La femme et le médecin forment un couple indissociable, sur fond de violence consentie. » Une métaphore filée à l’infini au travers de femmes, déshabillées, palpées par d’inquiétants gynécologues, reprise grâce à l’imagerie romanesque de créatures éventrées vives, soumises au scalpel, le tout étant illustré par les poupées de cire et autres créatures artificielles. Tout un monde que restitue magnifiquement Caroline de Mulder et qui se situe à mi-chemin du scientisme du XIXe siècle et du roman fantastique.
Ce sont ces œuvres étranges qu’évoque le livre, qui semblent anticiper sans le savoir le concept de femme-objet. Démembrée, mise en pièces, saignante aussi, la femme est curieusement à la fois objet de désir et inquiétant machine décomposable, hystérique de Charcot et vamp du cabinet du Dr Caligari.
Un florilège de romans des XVIIIe et XIXe siècles nous est offert à la fin du livre. La femme y est en permanence soumise à une rage aussi bien sexuelle qu’expérimentale. Au moment même où son malheur est redoublé socialement. Confinée dans des rôles d’allumeuses ou de victimes éplorées, elle reçoit dans la vraie vie l’interdiction de poursuivre les carrières où on en sait trop. Un livre passionnant.
Caroline De Mulder, « Libido Sciendi », Seuil, 168 p., 18 euros.
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série