CES DERNIÈRES années, de nombreux éclairages sont venus apporter une lumière nouvelle sur l’œuvre de Manet, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. On pourrait croire que son art est sage, léché et tempéré, alors qu’il cache un tumulte, ou tout du moins des hardiesses. Réaliste, Manet ? Oui, mais par son génie de la transcendance, il représenta le réel au-delà de sa signification formelle. Sa formation fut classique, mais il bouscula volontiers les codes et les conventions. Il fut moderne en tous points. Moderne parce qu’il bouleversa la tradition des maîtres du passé et celle de la peinture d’histoire. Moderne parce qu’il sut faire une synthèse unique entre le réalisme et le romantisme, en brouillant les lignes par son appartenance pour un temps au mouvement impressionniste. Moderne enfin parce qu’il conjugua, avec un aplomb qui n’appartint qu’à lui, réalisme et fiction. Il fut un artiste d’une richesse rare, exprimée dans la plus grande liberté.
L’exposition du musée d’Orsay est singulière en ce qu’elle ne se présente pas vraiment comme une rétrospective, mais plutôt comme un parcours vivant, divisé en neuf thématiques, sensibles et pertinentes (« Un catholicisme suspect », « Impressionnisme piégé », etc.).
Manet fait ses classes dans l’atelier de l’académique Thomas Couture, connu pour être l’héritier de Véronèse et de Rubens. Mais c’est rapidement vers Delacroix qu’il se tourne, en se frottant assidûment à sa peinture. L’artiste romantique est un modèle pour Manet, dans la capacité qu’il a à marier le respect et l’insoumission vis-à-vis de la tradition. Velázquez et son « réalisme révolutionnaire » inspirera aussi durablement le père du « Déjeuner sur l’herbe ».
Manet partage avec Baudelaire (qu’il rencontre en 1860) l’ambition de rendre compte du temps présent. Le poète voulait relier le romantisme à la modernité. Manet réussit à réaliser ce souhait en mêlant les canons de l’ancienne peinture au réalisme de la vie quotidienne. De même, réinventa-t-il l’art religieux. Dans « les Anges au tombeau du Christ », il traite les personnages sacrés comme de « vulgaires » mortels, avec une physionomie extrêmement parlante et proche de nous. La manière frontale avec laquelle il représente le Christ est également très audacieuse.
Sublimation.
Il y a une constante volonté de sublimation dans les œuvres de Manet, un sens caché ou une manière de percevoir autre chose que ce qui nous est montré (dans la série des natures mortes, très dépouillées, les banals fruits et fleurs sont idéalisés et deviennent des éléments rares, qui attisent notre convoitise). Ses toiles dégagent une tension dramatique (voir l’intense « Homme mort », inspiré par son séjour en Espagne), un mystère et une mélancolie (le regard des personnages du « Balcon » est un mélange de lassitude et de force). Dans les scènes de bars, de brasseries, que Manet, immergé dans la vie mondaine et urbaine, se plaît à peindre (« la Serveuse de bocks, « Un bar aux Folies-Bergère », « Au Père Lathuille »), on remarque, malgré la liesse environnante, des expressions profondes, empreintes de tristesse, une langueur « fin de siècle »
On pourrait continuer longtemps à faire l’inventaire de toutes les ruptures, de tous les paradoxes, de toutes les dissonances qui se cachent sous la sagesse apparente du pinceau de Manet. Jusqu’à ses dernières années, sa peinture questionne, intrigue, bouscule les codes. L’exposition se termine par l’évocation de Manet comme peintre de l’histoire, peintre « universel ». Dans ses toiles contestataires, du « Combat du Kearsarge » à « l’Exécution de Maximilien », Manet, fervent républicain, fit entendre ses opinions. On peut lire dans ces œuvres une violence sourde. Tout ce que nous a laissé Manet a un sens très fort.
Musée d’Orsay, 7e. Tlj sauf lundi, de 9 h 30 à 18 heures (fermeture des caisses à 17 heures ; jeudi jusqu’à 2 h 45 ; samedi jusqu’à 20 heures). Jusqu’au 3 juillet. Catalogue, sous la direction de Stéphane Guégan, éd. Musée d’Orsay/Gallimard, 336 p., env. 42 euros + Hors-Série Découvertes, éd. Musée d’Orsay/Gallimard, 40 p., 8,40 euros.
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