Évincé par l’impérialisme sociologique d’Émile Durkheim, Gabriel Tarde avait fait de l’imitation le moteur des rapports sociaux. Éric Maurin montre que le recul des grandes règles morales et religieuses ne laisse pas place à un vide normatif. Au contraire, « titulaire de statuts plus incertains et fragiles, l’individu contemporain est exposé comme jamais au besoin de faire comme les autres ». Ainsi, beaucoup d’élèves choisissent au lycée les mêmes études qu’un camarade proche. Idem pour la faculté, tant l’isolement et le déracinement peuvent effrayer.
Dans un monde devenu « liquide », comme le dit le penseur Zygmunt Bauman, où tout se fait, se défait et se reconfigure très vite, la question se pose de savoir si l’imitation a des effets positifs, comme lorsqu’on se règle sur le semblable ou celui qui nous est légèrement supérieur. Le livre fournit beaucoup d’exemples intéressants liés à l’expérimentation dans le monde du travail et des supermarchés. On comparera par exemple deux employés chargés de scanner très vite des articles : « L’observation révèle qu’un employé tend à être plus rapide quand il se trouve en caisse en même temps que les plus rapides. »
Dans un texte peu connu du « Discours sur l’origine de l’inégalité entre les hommes » (1755), Jean-Jacques Rousseau montre que, bien avant la propriété, le mal est venu de la comparaison, d’où découle à la fois le besoin de reconnaissance et le mépris ; et l’on sait l’importance que la philosophie a attaché au regard. Autre expérience, aux États-Unis. Dans une entreprise, on teste l’aptitude des travailleurs à s’estimer heureux. Peu après, un site web permet à chacun de comparer sa rémunération à celle de ses collègues. On devine la suite : les conséquences sont dévastatrices pour ceux qui découvrent qu’ils sont parmi les moins bien payés. Et leur sentiment de bonheur s’amoindrit nettement.
Interdépendance
Tout le monde sait comment peut s’établir une norme dans certains groupes sociaux. Les lycées où s’installent progressivement absentéisme et indisciplines diverses tirent les meilleurs vers le bas. L’inverse n’est pas forcément vrai et le livre fournit des exemples d’excellents élèves issus de l’immigration ne pouvant, pour des raisons d’« image sociale », s’intégrer dans un très chic bahut parisien.
Ce que le livre montre aussi, c’est la totale interdépendance de tous. Totale mais douloureuse. Le premier qui a obtenu un prix attrayant pour un voyage sur Internet entraîne une progressive augmentation pour les suivants. De la même façon, les milliers de Parisiens qui poursuivent les mêmes objectifs, désirent les mêmes choses (la célèbre rivalité mimétique de René Girard), s’entasseront aux mêmes heures dans les mêmes transports en commun.
On était partis du conformisme à l’égard des meilleurs, on termine dans l’enfer. Éric Maurin serait-il sartrien ?
* Auteur également de « la Peur du déclassement » (2009, La République des idées).
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