Ignoré des grands prix littéraires (les Renaudot lui ont préféré « la Couleur de l’eau », de l’Écossaise Kerry Hudson), le romancier britannique Martin Amis a finalement reçu le prix du Meilleur livre étranger pour « la Zone d’intérêt » (Calmann-Lévy), un roman controversé qui raconte l’Holocauste sous l’angle du grotesque et du vaudeville, que ses éditeurs historiques en France et en Allemagne avaient refusé de publier. Il a pour sujet une histoire d’amour banale et triviale dans un camp de concentration qui pourrait être Auschwitz, sous le regard d’un déporté à la tête d’un Sondercommando.
« Histoire de l’amour et de la haine » (Grasset), de Charles Dantzig, a figuré dans la dernière sélection du prix Médicis (attribué à Nathalie Azoulai pour « Titus n’aimait pas Bérénice »). L’auteur y met en scène sept personnages pris dans le tourbillon des manifestations de 2013 contre le « Mariage pour tous », pour montrer en quoi un événement peut avoir des incidences sur la vie d’individus. Un roman choral foisonnant, érudit et engagé, parfois agaçant, avec en toile de fond une France au bord de la crise de nerf.
Romanesque pas mort avec « Ce cœur changeant » (L’Olivier), d’Agnès Desarthe, finaliste du Grand Prix du roman de l’Académie française (remporté conjointement par Hedi Kaddour pour « les Prépondérants » et Boualem Sansal pour « 2084. La fin du monde »). On entre de plain-pied dans une saga familiale féminine à travers la destinée de Rose, née en 1889 au Danemark et qui part seule pour Paris à 19 ans. Le parcours de la jeune fille s’éclaire avec des retours en arrière sur la vie de sa mère, obsédée par sa beauté, et de sa grand-mère, traumatisée par la mort de quatre de ses enfants.
Philippe Jaenada a figuré dans les dernières sélections du prix Renaudot (« D’après une histoire vraie », de Delphine de Vigan) et du prix Interallié (« la Septième fonction du langage », de Laurent Binet) avec « la Petite femelle » (Julliard), une biographie-plaidoyer de Pauline Dubuisson, jugée en 1953 pour avoir tué son amant. Les quelque 600 pages du roman coulent comme eau de source entre les minutes d’un procès injuste, le portrait d’une femme qui se voulait libre – et exercer la médecine – dans une société figée et une foultitude d’incises, qui étayent le récit et nous entraînent du plus tragique au plus comique.
Couronné en début de saison par le prix Jean-Giono, l’écrivain libanais de langue française Charif Majdalani a figuré dans l’ultime sélection pour le prix Femina (attribué à Christophe Boltanski pour « la Cache ») avec « Villa des femmes » (Seuil). Ce roman est le dernier volet du triptyque que l’auteur consacre aux décennies 1960-1970 et au basculement du Liban dans la guerre civile en 1975. Après la mort du maître de la maison Hayek, une prospère famille chrétienne, et tandis que les fils préfèrent s’amuser et voyager, la veuve, la sœur et la fille du défunt s’entre-déchirent avant de comprendre qu’elles doivent s’unir pour tenter de résister au chaos.
Finaliste malchanceux du prix Goncourt (remporté par Mathias Énard, avec « Boussole »), Tobie Nathan fait revivre, dans « Ce pays qui te ressemble » (Stock), le pays de son enfance, l’Égypte d’avant l’indépendance. Il raconte les destins d’un enfant juif et de sa sœur de lait arabe des années 1920 aux années 1950, qui grandissent sous le mandat britannique, subissent la deuxième guerre mondiale, connaissent le règne du roi Farouk puis la prise du pouvoir par Nasser, l’essor des Frères musulmans et l’expulsion des Juifs en 1956. L’auteur avait 8 ans lorsqu’il a dû s’exiler avec ses parents.
La revanche
D’autres livres ont été reconnus par des prix de qualité. En remportant, au premier tour, le prix Décembre – moins réputé, mais le plus doté, avec 30 000 euros –, Christine Angot a pris une revanche sur les grincheux qui l’accusent de nourrir son œuvre uniquement de son trauma d’enfance, l’inceste dont elle a été victime de la part de son père entre 14 et 16 ans, à l’insu de sa mère. Seize ans après « l’Inceste » et trois ans après avoir écarté de ce même prix pour « Une semaine de vacances », elle a été consacrée pour « Un amour impossible » (Flammarion), plus spécifiquement axé sur ses relations d’amour-haine avec sa mère.
Jean-Noël Orengo a été distingué par le prix de Flore pour « la Fleur du Capital » (Grasset). Ce gros roman (768 pages) nous entraîne en Thaïlande et plus précisément à Pattaya, station balnéaire familiale et capitale mondiale de la prostitution, vaste théâtre de la beauté, du plaisir tarifé et de tous les vices, où cinq personnages se perdent à travers la multitude des rues et des bars. Leurs voix disent une ville symbole des paradoxes de notre époque, où le sexe, la mort et l’argent cohabitent avec la spiritualité.
Avant d’être distingué par le prix Wepler, « Achab (Séquelles) » (Gallimard) avait reçu le prix de la Page 111, décerné par des jurés qui jugent les ouvrages sur cette seule et unique page ! Heureusement pour nous, la qualité d’écriture et la prose souvent drôle et toujours érudite de Pierre Senges courent tout au long des 624 pages du roman. L’auteur imagine que le capitaine baleinier de « Moby Dick » n’est pas englouti par sa proie mais qu’il flotte et échoue à New York, où il fait d’abord un tas de petits boulots avant de vendre à Broadway et à Hollywood son histoire de baleine tueuse. Entre autres péripéties tout aussi exaltantes.
Présidé cette année par le médecin, écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin, le prix du livre Inter a couronné Valérie Zenatti pour « Jacob, Jacob » (L’Olivier), qui raconte la guerre d’un jeune Juif lettré de Constantine (le frère du grand-père de l’auteur), envoyé sur les côtes de Provence en 1944 pour libérer la France et qui meurt dans un combat en Alsace quelques semaines plus tard à l’âge de 19 ans, en même temps que les inquiétudes de sa famille et de ses amis restés au pays. Son livre est un hommage aux familles algériennes partagées entre deux langues, le français et l’arabe, et deux cultures, juive et musulmane.
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