C'est bien « roman » qui figure sous le titre du livre d’Édouard Louis, « Histoire de la violence » (1), alors qu'il s'agit d'un texte entièrement véridique, ce que confirme l'auteur. Un très jeune auteur de 24 ans qui avait fait sensation en publiant l'année dernière « En finir avec Eddy Bellegueule », une évocation très autobiographique de son enfance difficile dans une famille pauvre du nord de la France, de la découverte de son homosexualité et de sa fuite à Paris.
Le roman s'appuie donc sur un fait réel et terrible : sortant de chez des amis la nuit de Noël, Édouard Louis est abordé par un jeune homme assez attirant pour qu'il l'invite à monter dans son studio. Le temps passe à discuter et faire l'amour, Reda lui raconte son enfance et l'arrivée en France de son père kabyle, jusqu'au matin où le charmeur se révèle un voleur et se transforme en agresseur ; Reda sort un pistolet, il insulte son hôte, tente de l'étrangler, il le viole et s'enfuit.
En racontant ce drame intime, puis les démarches médicales et judiciaires qui ont suivi, Édouard Louis s'interroge sur la violence du monde, omniprésente dans la réalité et selon lui trop peu présente dans la littérature. Une violence éminemment sociale, appuyée par la construction du roman, où la version très posée de l'écrivain-victime est doublée par celle de sa sœur, qui se réapproprie l'histoire et la retransmet à son mari dans un langage populaire imagé, avec des apartés qui éclairent leur enfance commune et ses propres idées sur le racisme ou l'homosexualité. Un vrai savoir-faire de romancier.
Denis Lemasson, généraliste à Paris après avoir travaillé en Afghanistan pour Médecins sans Frontières, a choisi la forme du roman noir pour donner un visage et un corps aux enjeux de l'immigration. Parce qu'il assiste au meurtre d'un réfugié afghan dans son quartier, le narrateur de « Nous traverserons ensemble » (2), ex-médecin humanitaire, tente de reconstituer l'histoire du malheureux et est amené à plonger dans le monde des réfugiés. Le récit choral fait alterner les voix des travailleurs sociaux, bénévoles, médecins, politiques et Afghans, qui disent le drame du départ, les passeurs, les arnaques, les espoirs à l'arrivée en France, les déceptions, la mort parfois au bout du chemin. Sous sa plume se découvre le monde invisible des exilés.
En Tunisie, en Irlande
En arabe, Ahlam signifie les rêves. « Ahlam » (3) est le titre du premier roman du juge Marc Trévidic, spécialiste des filières islamistes en France, qui a œuvré pendant dix ans au pôle antiterrorisme du tribunal de grande instance de Paris (il est aujourd'hui vice-président du tribunal de grande instance de Lille). Marc Trévidic situe son roman en 2000 et raconte l'histoire d'un peintre de talent qui cherche à retrouver l'inspiration sur l'archipel des Kerkennah, en Tunisie. Accueilli dans une famille de pêcheurs, il reprend goût à la vie et à l'art grâce aux deux enfants, à qui il enseigne la peinture et la musique. La montée de l'islamisme, en même temps que s'écroule le régime de Ben Ali, conduira l'un à devenir une figure de proue de la révolution tunisienne, tandis que l'autre se radicalise. Un roman documenté sur les origines de la montée de l'islamisme en Tunisie et sur la récupération de la Révolution de jasmin par les partis religieux.
« Phalène fantôme » (4) est le premier roman de Michele Forbes, une actrice irlandaise connue, déjà auteure de nouvelles. Il se déroule autour d'une certaine Katherine Bedford, que l'on découvre en août 1969, épouse et mère comblée de quatre enfants ; un incident la conduit à se remémorer l'été 1949, lorsqu'elle faisait ses premiers pas d'actrice et que, déjà fiancée, elle était tombée éperdument amoureuse. Cette exploration de la mémoire, de l'amour illicite et de la perte, ainsi que la lutte des époux Bedford pour garder secret un passé qui menace leur mariage, sont l'essentiel du livre, mais les choses de la vie quotidienne sont vécues avec d'autant plus d'intensité que l'action se déroule alors que l'Irlande du Nord s'achemine vers la guerre civile.
L'engrenage de la haine, l'usage de la manipulation et la perte de toute valeur humaine pour celui qui s'engage sur le chemin de la vengeance sont les thèmes des « Ailes du désespoir » (5). Roselyne Durand-Ruel a vécu près de trente ans en Asie du Sud-Est (son premier livre, « l'Héritier », est une saga qui balaie l'histoire récente de la Chine) et un peu plus d'un an au Moyen Orient. Dans ce roman, elle met en scène un jeune Juif marocain qui, après la mort de celle qu'il aime dans une des tours jumelles de New York, se transforme en un musulman crédible qu'un imam extrémiste croit radicaliser et qui va infiltrer un réseau de terroristes pour le compte de la CIA. Au risque de se perdre.
Gong Ji-young est une romancière sud-coréenne très engagée pour la démocratie et les droits des exclus et très populaire dans son pays. Pour raconter, dans « l’Échelle de Jacob » (6), « l'histoire d'une âme pure qui voulait recevoir des réponses aux questions fondamentales que sont l'errance, la mort, la douleur, la séparation, l'amour », elle s'attache au destin d'un jeune moine bénédictin qui va connaître les tourments de l'amour et la mort violente de ses deux compagnons les plus proches. Le titre du roman s'éclaire par le récit d'un épisode de la guerre fratricide qui déchira le nord et le sud du pays lorsque le commandant du cargo américain « Meredith Victory » parvint à sauver près de 14 000 réfugiés fuyant l'invasion communiste chinoise quelques jours avant Noël 1950, en leur lançant une échelle de corde le long du flanc du bateau.
(1) Seuil, 230 p., 18 €.
(2) Plon, 395 p., 20 €.
(3) JC Lattès, 320 p., 19 €.
(4) Quai Voltaire, 275 p., 21 €.
(5) Albin Michel, 425 p., 21,50 €.
(6) Éditions Philippe Picquier, 358 p., 19,50 €.
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