« On tira à la courte paille, pour savoir qui, qui, qui serait mangé, ohé, ohé. » C’est d’abord une gentille comptine enfantine où le hasard décide, tout comme le pouce de l’empereur sauve ou condamne le gladiateur. C’est aussi la célèbre trilogie culte des adolescents américains, « Hunger Games », dans lesquels une héroïne reste seule survivante de massacres à grand spectacle.
Mais ce thème cesse d’être un jeu lorsque, comme le raconte Primo Levi, quarante ans après Auschwitz, dans « les Naufragés et les Rescapés » (Gallimard, 1986), le hasard prend la figure du SS qui décide, autant par indifférence à la vie d’un détenu juif que par sadisme, de choisir un travailleur sur deux dans une file. Souvent, explique le même Primo Levi, la pénurie structurelle des ressources indispensables à la vie, le rationnement artificiel des chances de sursis illustrent les contraintes de l’expérience de survie dans les camps nazis. La sélection en est la scène symbolique. Il en résulte chez celui qui n’a pas été « retenu », soit un fort sentiment de honte – le rescapé ne peut s’empêcher de penser que d’autres sont morts à sa place –, soit le sentiment d’avoir été mystérieusement « élu », élection résultant d’une sélection.
La littérature s’est emparée de ces scènes où le bourreau propose à la victime un choix atroce. En 1946, Albert Camus, invité par l’université Columbia, raconte l’histoire de cet officier allemand qui, préparant l’exécution de trois frères résistants, en Grèce, propose à leur vieille mère d’en épargner un, à condition que ce soit elle qui le choisisse. On connaît le roman de William Styron « le Choix de Sophie » (Gallimard, 1981), adapté au cinéma par Alan Pakula en 1982. Sur la rampe d’Auschwitz, cette jeune déportée doit décider lequel de ses deux jeunes enfants périra, sous peine de voir les deux sacrifiés. Situation extrême, au-delà de la raison et de la morale, puisqu’il faut choisir sans aucune raison de le faire. Dans l’histoire de Camus, la mère faisait épargner le fils aîné parce qu’il était chargé de famille.
Les choix invisibles
On peut simplement reprocher ici à Frédérique Leichter-Flack d’avoir pris des œuvres de fiction, même si la perversité nazie a certainement fourni de réels exemples dans la vie des camps. Réalité et fiction s’unissent dans les situations où admettre quelques migrants en plus est censé déséquilibrer un pays d’accueil. Une situation schématisée par Alfred Hitchcock en 1944 dans « Lifeboat », 5 personnes dans un canot au milieu de l’océan ; cela tombe bien, c’est l’espion allemand qu’on jettera par dessus bord.
Analysant « la Liste de Schindler », de Steven Spielberg, Frédérique Leichter-Flack en montre l’envers : un choix opéré en amont en a rejeté beaucoup, reste les visibles épargnés et la gloire pour l’Allemand généreux. C’est le sens du livre. L’éthique d’exception opérée à froid nous répugne : sauver les plus fragiles et parfois les sacrifier pour garder les plus vigoureux. Mais que de choix sont en silence opérés tout au long d’une existence, ne serait-ce que par les inégalités sociales ! « On existe toujours aux dépens de quelqu’un », disait déjà Jean-Paul Sartre.
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