Par Clément Paquis
Excité comme une puce, Fabrice Boulier me tira par la manche, m'extirpant de mon canapé, de ma femme et de ma léthargie pour me précipiter vers mon bureau où se trouvait mon ordinateur.
« Allume ! » m'ordonna-t-il sans cesser de sourire une seconde. Dans sa main droite, il tenait une petite clé USB rouge vif. Sitôt insérée, la clé livra ses secrets. Il y avait là plus d'une cinquantaine de fichiers vidéos. Boulier s'assit sur mon fauteuil à roulettes et posa la main sur la souris.
« Alors, Watson, on commence par quoi ? » me lança-t-il d'un air espiègle.
« Allez, crache le morceau, je vois bien que t'en meurs d'envie ! » lui rétorquai-je.
Euphorique, Fabrice s'exécuta. Sur chacune de ces courtes séquences vidéos, on voyait un homme se faufiler à l'intérieur d'une maison. Ça n'était jamais la même maison mais c'était toujours le même homme et je le reconnus immédiatement.
« Bon sang, mais c'est ce vieil imposteur de Frioul ! » m'exclamai-je.
« Chut, regarde ! » me coupa Boulier.
Ce que je vis alors me flanqua la nausée pour les six jours qui suivirent. Les vidéos montraient le rebouteux pénétrer dans ces maisons sans la moindre difficulté. Une fois à l'intérieur, il s'approchait à pattes de velours de ses victimes ronflantes, se saisissait de quelque chose dans une sacoche qu'il portait en bandoulière et se mettait à l’appliquer sur le corps de ses proies endormies.
« Mais qu'est-ce qu'il fait ? Avec quoi il les touche ? »
Fabrice Boulier cliqua sur pause, ouvrit la vidéo en mode plein écran puis se saisit de ce dernier qu'il décolla de son support pour me le coller à une vingtaine de centimètres du visage. Des cadavres. Frioul appliquait sur la peau de mes patients endormis des cadavres de rongeurs et d'oiseaux en stade de décomposition avancée.
« À moins que ce soit une vieille technique de druide pour bénir ses patients, je crois bien qu'on vient de découvrir d'où surgissaient ces satanées verrues ! »
Je fus pris d'un haut-le-cœur dont Fabrice anticipa l'issue en sortant une petite flasque de gnôle de la poche intérieure de sa veste. Comme s'il avait prévu mon dégoût – sans doute pour l'avoir lui-même ressenti au moment de sa découverte –, il attrapa une tasse vide et la remplit d'un liquide qui sentait fort et bon le whisky seize ans d'âge.
« Prescription médicale, mon vieux ! » lança-t-il en me tapant sur l'épaule.
« Mais comment diable as-tu obtenu ces images ? »
Fabrice sortit alors une facture pliée en quatre de sa poche de pantalon et annonça en souriant : « Tu me dois trois cents euros de matériel chez superdetective.com, Watson ! »
* * *
Ainsi cessèrent les visites nocturnes de Ghislain Frioul aux habitants de Plumier-les-Natives. Les traitements anti-verrues prescrits par Fabrice Boulier, en l'absence de nouvelles contaminations au jus de charogne, finirent par avoir raison de la mystérieuse épidémie. Fabrice et moi-même décidâmes de régler la question du rebouteux dans la plus opaque des discrétions. Nous nous rendîmes chez lui un soir, ordinateur portable sous le bras, et après une courte séance vidéo, exigeâmes de lui qu'il quitte le village dans les plus brefs délais en échange de notre silence sur ses procédés très loin d'être digne d'un Panoramix du XXIe siècle. À l'heure où j'écris ces mots, Ghislain Frioul, ex-rebouteux du village de Plumier-les-Natives, a pris le cap pour une autre bourgade où, je l'espère, son expérience de serrurier lui servira à réparer des serrures plutôt qu'à les forcer. À quel endroit réapparaîtra-t-il ? J'imagine, là où il y aura de l'argent, des pigeons et du petit gibier à laisser pourrir.
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