Côté scène, les murs rouge safran, piqués par le temps et le souvenir d’un incendie, entourent la scène plongée dans la pénombre. La lumière caravagesque enveloppe les rangées de fauteuils et les balcons et l’âme des Bouffes du Nord opère son charme.
Le quatuor de guitares et de viola portugaises, entame crescendo une partition endiablée. Un chant puissant s’élève. La voix, c’est elle. Une silhouette noire, fuselée dans une robe moirée, s’avance, toute voix dehors à la rencontre du public. Conquis, pris dans les filets de cette voix, il s’envole, ensorcelé par un timbre profond et chaud, celui du Dr Katia Guerreiro, jeune étoile du fado portugais. Son chant agrippe la nostalgie fondatrice du fado traditionnel tout en y insufflant sa propre fantaisie. Fadiste de talent, le Dr Guerreiro est désigné par les aficionados pour assurer la relève d’Amalia Rodriguez, icône bouleversante du fado, disparue en 1999.
Des éclats de rires mêlés aux tonalités suaves de la langue portugaise et l'on découvre, côté ville, Katia Guerreiro et ses musiciens. Cette brune aux yeux qui pétillent parle un français impeccable, voire académique. Sa famille a fui l’Angola au moment de l’indépendance pour s’établir aux Açores. Mais le Dr Guerreiro est né, au détour d’une parenthèse familiale de plusieurs mois en Afrique du Sud, à Vanderbijlpark.
C’est aux Açores, sur l’île de Sao Miguel, que l’adolescente découvre le fado tombé pourtant en désuétude. Il est à cette époque connoté politiquement comme support de propagande de la dictature salazariste.
Katia part à dix-huit ans pour faire ses études de médecine à Lisbonne. La jeune femme souligne le trait d’union que la médecine représente à ses yeux, entre son goût prononcé pour la science et sa passion pour l’humain.
La clef du chant
Mélomane depuis toujours, Katia Guerreiro joue de la « viola da terra », instrument à corde traditionnel, et fait partie d’un groupe folklorique aux Açores. À Lisbonne, l’étudiante en médecine est l’une des responsables d’un groupe musical universitaire. Elle est également chanteuse d’un groupe de rock des années soixante « Os Charruas ». « Tout cela se faisait pour le plaisir et sans velléité d’avenir professionnel », précise-t-elle.
Pour Katia, tout, absolument tout, va se jouer la dernière année de ses études de médecine.
Un soir de 1999, lors d’une incursion dans une « Casa de fados » de Lisbonne, ses amis lui demandent de chanter. Ils la poussent, la pressent. Elle cède. Sous leur impulsion, l’étudiante en médecine se lève, gonfle ses poumons et se lance dans un fado. Le public fasciné est comblé. Les musiciens reconnus dans cet univers l’adoubent. « À cette époque, précise-t-elle, je chante toujours les yeux fermés. Lorsque je les ouvre enfin, un homme s’est saisi de ma main et m’incite à continuer « vas-y, ne t’arrête pas », dit-il avec insistance. Il m’a fait entendre d’autres chants et m’a présentée à des fadistes. Il m’a appris l’histoire et les origines du fado car je n’y connaissais pas grand-chose, dit-elle en riant. J’ai pu participer à de petits événements musicaux dédiés au fado. » Depuis, Katia s’entoure de musiciens chevronnés, les mêmes qui l’ont adoptée le jour de sa première prestation. Fidèles, ils l’accompagnent le plus souvent possible lors de ses concerts et tournées dans le monde.
Dernier examen de médecine, premier grand concert
« Le jour même où je venais de terminer médecine, l’un des plus grands noms du fado, Joao Braga, m’appelle et me propose de participer le 6 octobre 2000, au plus prestigieux récital de fado dédié à Amalia Rodriguez !, se souvient le Dr Guerreiro. J’ai accepté bien sûr. J’étais d’autant plus surexcitée que je venais de terminer mes examens deux heures plus tôt. Je me suis dit, mais pourquoi pas ? Ce n’est pas incompatible. J’ai cette belle opportunité et je pourrai la raconter plus tard à mes enfants et petits-enfants ! »
À partir de ce concert mémorable au Colisée de Lisbonne, la voie toute tracée vers la médecine dévie de sa trajectoire initiale. « J’ai toujours cru que je serai médecin mais deux mois après cet hommage, j’enregistrais mon premier CD intitulé Fado Maior », dit-elle.
Une vocation et une passion menées de front
En 2003, après l’internat, Katia Guerreiro exerce en semaine et chante le week-end. Elle n’accepte aucune proposition artistique en dehors de ce créneau. Seule la médecine est une certitude, une vocation inscrite dans la durée et dans l’avenir. « Mais non, dit-elle en souriant franchement, c’est le contraire qui s’est produit. J’ai continué à mener de front, médecine et fado. En médecine, il fallait choisir une spécialisation et pour le chant, on me proposait une tournée au Japon et en France. » Une véritable carrière artistique à l’international se dessine.
« J’ai décidé de repousser d’un an ou deux le choix d’une spécialisation et de me consacrer à parts égales au fado. » Le Dr Guerreiro devient urgentiste et exerce dans les hôpitaux d’Evora, de Montemor-o-novo, Viana do Alentejo ou encore Montijo. Le rythme soutenu sur plusieurs années entre quatre hôpitaux et les concerts de fin de semaine alertent un confrère responsable du conseil de l’Ordre à Lisbonne. Il veut sensibiliser l’État à la situation des médecins artistes afin qu’ils puissent bénéficier, à l’image des athlètes de haute compétition, d'un statut spécial.
« Cela a été une bataille difficile car il y avait des gens qui politiquement m’ont bloquée dans cette démarche », explique Katia Guerreiro. En 2006, elle a fait campagne pour soutenir la candidature aux présidentielles d’Anibal Cavaco Silva, l’actuel président sortant. « Cela a été une grande leçon de vie », explique le médecin en un éclat de rire.
Le Dr Guerreiro quitte les urgences pour se consacrer pendant six ans à l’ophtalmologie. Elle n’a pas entamé de spécialisation et poursuit son activité artistique toujours plus intense. Épuisée physiquement et émotionnellement, elle troque l’ophtalmologie contre la chirurgie plastique qu'elle pratique trois années dans une petite équipe.
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L’arrivée en 2012 d'une petite fille fera pencher la balance et Katia renonce à Hippocrate. Elle exerce la médecine jusqu’au dernier jour avant son accouchement. « Après la naissance de ma fille, j’ai décidé d’arrêter la médecine. Être artiste et maman c’est déjà difficile en soi, mais maman, chanteuse et médecin c’est parfaitement impossible ! », énonce-t-elle avec détermination. La maternité marque le coup d’envoi d’une carrière totalement artistique tournée vers la scène et le chant du fado. « J’ai renoncé à la médecine pour le moment mais qui sait, je peux y revenir et puis, je continue à la pratiquer pour mon entourage proche et lorsque je suis sollicitée pendant mes concerts », ajoute aussitôt le médecin-fadiste.
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