« Eliogabalo » et « Tosca » à l'Opéra de Paris

Aux extrêmes de l’opéra italien

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Publié le 03/10/2016
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Cl-Eliogabalo H

Cl-Eliogabalo H
Crédit photo : AGATHE POUPENEY, OPÉRA DE PARIS

Pour la réouverture de l'Opéra-Bastille, on pouvait craindre la routine : « Tosca » (1), de Puccini, œuvre de répertoire par excellence, dans une mise en scène réalisée il y a deux saisons par Pierre Audy, le directeur musical de l’Opéra néerlandais, futur directeur du Festival d’Aix-en-Provence. Avec cependant, pour les premières représentations, un trio d’as pour la distribution.

Pour Mario Cavaradossi, l'Argentin Marcelo Álvarez, un ténor que Paris connaît bien et aime pour la franchise et la sûreté de sa voix et en dépit de ses piètres qualités de comédien. Pour le méchant baron Scarpia, le Gallois Bryn Terfel, à la voix de baryton-basse désormais moins timbrée, mais toujours prodigieux de présence scénique, même si on peut redouter qu’il en fasse un peu trop. Et, pour Tosca, celle qui fait désormais courir les amateurs bien informés – courir en zigzag, car elle est célèbre aussi pour ses annulations –, l’Allemande Anja Harteros, que nous venions d’entendre à Berlin dans « la Walkyrie » (« le Quotidien » du 19 septembre).

Quel trio ! Transformant cette mise en scène faite pour ronronner, et dont la direction par Dan Ettinger n’était pas celle d’un grand soir de l’orchestre, en vraie tragédie. Le genre de représentation dont on sort brisé, ayant entendu, en plus d’un formidable ensemble, une Tosca unique, à la voix au timbre de velours, à la stature de reine et au jeu rappelant celui des plus grandes. À revoir, on l’espère, avec un grand metteur en scène ! Lui succédera, pour la fin de la série, l’Ukrainienne Liudmyla Monastyrka.

Péplum érotique

Mais la création attendue de ce début de saison était, à l'Opéra-Garnier, « Eliogabalo » (2), drama per musica tardif, qui après avoir vu sa création annulée à Venise en 1668, n’a jamais été joué du vivant de Francesco Cavalli (1602-1676) et dut attendre plus de trois siècles ! Pour créer l’événement, une affiche de rêve : le contre-ténor star argentin Franco Fagioli, le chef d’orchestre argentin Leonardo Garciá Alarcón et, pour sa première mise en scène d’opéra, le jeune metteur en scène Thomas Jolly, auréolé du succès de ses récentes réalisations shakespeariennes, « Henry VI » (Molière 2015) et « Richard III ».

Située dans la Rome antique, l’action narre les aventures amoureuses d’un empereur aux mœurs dissolues, flanqué d’une nourrice lubrique (rôle travesti magnifié par Emiliano Gonzalez Toro) et d’une âme damnée d’une perversité unique, qui a l’idée, farfelue pour l’époque, de faire entrer les femmes au Sénat. Une action semée d’intrigues et de complots à côté desquelles ceux de nos politiques sont des jeux d’enfants de chœur.

L’Opéra n'a pas lésiné sur les moyens. La mise en scène de Thomas Jolly, qui traite l’action comme un péplum érotique, dans des costumes extravertis de Garteh Pugh, a belle allure, avec ses podiums et escaliers de cabaret, ses faisceaux de lumière et une direction d’acteurs au mieux de ce que l’on peut faire. Car Cavalli n’est pas aussi fort que Monteverdi sur le plan dramaturgique : l’action a ses redondances et le recitar cantando en vogue dans le Seicento vénitien n’est pas toujours le meilleur moteur pour la faire avancer.

Seule réserve, une grande disparité des voix et une certaine inadéquation au lieu. Entre Franco Fagioli, dont la voix fait des acrobaties incroyables mais a un volume minuscule, et Paul Groves, qui chante aujourd’hui Parsifal et Lohengrin, se déploie une gamme de voix plutôt disparates. Le dispositif tournant en tréteaux place les chanteurs très à distance du public et leurs voix se projettent mal dans la grande salle de Garnier.

Avec ses limites, « Eliogabalo » est un superbe spectacle, pas forcément réservé aux amateurs d’opéra baroque, que tient à bout de bras le chef Garciá Alarcón à la tête de son admirable Capella Mediterranea.

 

(1) Opéra-Bastille, jusqu’au 18 octobre
(2) Opéra-Garnier, jusqu’au 15 octobre
Tél. 0892.89.90.90, www.operadeparis.fr

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin: 9522