Plus de la moitié des praticiens libéraux (53 %) estiment que les médecins sont moins bien soignés que leurs propres patients, révèle ce mardi une étude* IFOP menée auprès de 301 médecins libéraux (179 généralistes et 122 autres spécialistes) pour la Mutuelle du Médecin. Les résultats de cette étude montrent de « nombreux signaux d'alerte sur l'état de santé des médecins » mais aussi « une différence entre les généralistes et les autres spécialités », résume Fabienne Gomant, directrice adjointe du département « opinion et stratégies d'entreprise » de l'IFOP.
Première confirmation : les praticiens libéraux ont pris l'habitude de se soigner eux-mêmes. Ainsi, trois quarts des médecins de ville déclarent être leur propre médecin traitant, pratique encore plus répandue chez les hommes (78 %), les généralistes (81 %), les praticiens en cabinet individuel (82 %) et ceux qui ont plus de 30 ans d'exercice (82 %).
Sans surprise, ils soignent aussi massivement leurs proches. Ainsi, 77 % déclarent être le médecin traitant d'un membre de leur famille, notamment le conjoint (59 %), les enfants (57 %) et leurs parents (19 %). Néanmoins, une différence entre générations s'opère : si 91 % des médecins de plus de 60 ans assurent être le médecin traitant de leur famille, ils ne sont plus que 57 % chez les moins de 40 ans...
Les généralistes davantage en souffrance
Sur le plan de la prévention personnelle, la situation n'est pas reluisante. Si les médecins sont pourtant très bien placés pour appliquer les bonnes pratiques, plus d'un quart des sondés (27 %) avouent ne pas suivre pas les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) « en matière d'examens, de vaccination », souligne l'étude. « On peut se demander si cela s'explique par une négligence de leur propre santé ou s'ils ne croient tout simplement pas dans ces mesures nationales de prévention », ajoute Fabienne Gomant.
L'étude confirme aussi la difficulté des médecins à reconnaître les signaux d'alerte sur la dégradation de leur propre santé. Ainsi, 14 % des praticiens libéraux déclarent être « personnellement » concernés par une addiction mais la moitié d'entre eux affirment connaître dans leur entourage... un confrère qui en souffre ! Pire, « un tiers des médecins répondants déclarent avoir dans leur entourage un confrère dont ils pensent qu'il ne devrait plus exercer son activité du fait de son état de santé », commente Fabienne Gomant. Un taux d'alerte qui existe quels que soient l'âge ou la spécialité. A noter que plus d'un praticien libéral sur deux (55 %) se dit concerné par un risque cardio-vasculaire.
Un quart des praticiens libéraux se déclarent insatisfaits de leur situation professionnelle (à peu près comme les salariés français). Mais l'insatisfaction est plus marquée chez les généralistes (34 %) que parmi les autres spécialités (11 % d'opinions négatives). L'étude n'explicite pas les raisons de cette situation mais 15 % des généralistes libéraux indiquent avoir pris des antidépresseurs au cours des cinq dernières années (contre 6 % des autres spécialistes). Les médecins de famille font également état d'une moins bonne qualité de sommeil.
Des médecins qui ne s'arrêtent (presque) jamais
Autre indice : l'extrême réticence des praticiens en souffrance à lever le pied. La moitié d'entre eux n'ont tout simplement jamais pris d'arrêt de travail au cours de leur carrière. Pour le tiers d'entre eux, cela remonte à plus de cinq ans.
En pratique, 81 % des médecins libéraux ont déjà renoncé à un arrêt maladie alors même qu'ils étaient malades. Les raisons ? D'abord leur conscience professionnelle (73 %), l'absence de remplaçant (50 %), des raisons financières (39 %) et la volonté de ne pas surcharger des confrères (34 %). Encore une fois, une différence de générations existe. Les moins de 40 ans mettent davantage en avant la crainte de surcharger leurs confrères alors que les plus de 60 ans évoquent surtout leur conscience professionnelle.
Pas la première fois
Ce n'est pas la première étude qui révèle l'état de santé fragile de la profession et sa difficulté particulière à se soigner.
En 2016, le collège français des anesthésistes-réanimateurs (CFAR) avait lancé une campagne nationale de sensibilisation auprès des médecins intitulée « Dis, doc, t'as ton doc ? » après avoir constaté que 80 % des praticiens (hospitaliers et libéraux) n'avaient pas de médecin traitant personnel. « Les effets néfastes de l’autodiagnostic, de l’automédication et des consultations trop tardives auprès des confrères ne sont plus à démontrer. Il faut aujourd’hui changer de culture : c’est possible ! », argumentait la commission ad hoc du CFAR.
D'autres études réalisées par l'Ordre national ou les syndicats de jeunes médecins ont révélé la souffrance de la jeune génération médicale et le mal-être spécifique des futurs soignants. Deux jeunes (étudiants, internes et chefs de clinique) sur trois seraient anxieux contre 26 % dans la population générale. 28 % ont une symptomatologie dépressive contre 10 % des Français. Et 24 % des carabins et jeunes médecins ont déjà eu des idées suicidaires.
* Enquête menée en ligne entre le 22 août et le 6 septembre 2019 auprès de 301 médecins libéraux (225 hommes et 76 femmes).
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique
« Cela correspond totalement à mes valeurs », témoigne la Dr Boizard, volontaire de Médecins solidaires
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne