Réuni avec deux autres confrères – les Drs Emmanuel Sarrazin et Philippe Naccache – au sein du collectif C19, le Dr Ludovic Toro a porté plainte devant la Cour de justice de la République (CJR) dès la mi-mars contre la ministre de la Santé Agnès Buzyn, son successeur Olivier Véran et le premier ministre Édouard Philippe, les accusant de s'être abstenus volontairement de prendre les mesures nécessaires pour endiguer l'épidémie de Covid.
Leur plainte ayant été déclarée recevable, ils ont été entendus la semaine dernière par la commission d’instruction de la CJR, qui pourrait ensuite décider de juger les ministres. Le Dr Toro, médecin généraliste et édile (UDI) de la commune de Coubron en Seine-Saint-Denis, raconte au « Quotidien » son vécu de l'audition, et espère que le gouvernement reconnaîtra sa mauvaise gestion de la crise sanitaire.
LE QUOTIDIEN : Comment s'est passée l'audition devant la Cour de justice de la République ?
Cela s'est plutôt bien passé, dans une ambiance correcte et avec des questions pertinentes de la part des magistrats. Nous avons versé cinq pièces au dossier, dont l'article 223-7 du Code pénal qui condamne « quiconque s'abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ». Si l'on suit ce principe, il aurait fallu des masques pour tout le monde. Nous avons aussi apporté un article du site du ministère de la santé, datant de 2009 et qui dit que le masque est le meilleur moyen de protection contre un virus.
Et puis, nous avons rappelé les différentes déclarations d'Agnès Buzyn, Édouard Philippe et Jérôme Salomon, qui disaient que le masque ne sert à rien, alors qu'actuellement le gouvernement nous dit qu'il faut absolument en mettre un, soit tout le contraire. Ensuite nous avons chacun témoigné.
Quels ont été votre témoignage et vos arguments devant les magistrats ?
En tant que maire et médecin, je suis notamment revenu sur les élections municipales. On venait de passer en phase 3 et le gouvernement disait aux gens de ne pas se réunir et en même temps, on a maintenu les élections municipales. Ce soir-là dans ma mairie, cinq personnes ont été contaminées par le virus et deux en sont décédées… Nous n'avons eu aucune aide de l'État pour nous protéger. J'ai dû ramener des masques et du gel de mon cabinet.
Étant tous les trois médecins de premier recours, nous avons aussi expliqué tout ce que nous avons vu, les gens qui toussaient, perdaient l'odorat, mais dans le même temps on ne pouvait pas se procurer de masques et le gouvernement niait l'existence d'un virus dangereux venu de Chine. Ce sont mes patients qui m'ont amené des masques quand je n'en avais plus, puis les habitants de la ville qui ont fabriqué des masques en tissu. Nous sommes dans la 6e puissance mondiale et ce sont les citoyens qui protègent les soignants !
Personnellement, je reproche aussi au gouvernement d'avoir fait s'affronter les médecins entre eux en prenant parti à un moment donné pour M.Raoult – même si je n'ai rien contre lui. La visite du chef de l'État à Marseille a ensuite créé un affrontement permanent sur les plateaux télé entre des médecins pour ou contre tel ou tel sujet, alors qu'il aurait fallu tous les faire travailler ensemble.
Finalement, qu'attendez-vous de cette procédure ?
Notre démarche est que les ministres reconnaissent leurs erreurs de gestion. J'attends aussi la vérité. Pourquoi n'y avait-il pas assez de masques et pourquoi au lieu de l'avouer, on a préféré dire qu'ils ne servaient à rien et laisser des médecins se contaminer ? Un système de santé qui ne protège pas ses soignants est un système de santé qui a échoué.
J'espère aussi que cela permettra de mieux gérer la crise actuelle, où on voit que le problème des masques est devenu celui des tests. On réagit toujours après, et sans aucune anticipation. J'espère enfin que ce sera une leçon pour le futur, pour que lors des prochaines attaques virales on puisse réagir rapidement. Il faut changer le mode de fonctionnement de la santé. La centralisation est un échec total, on s'en est rendu compte. Il faut donner aux collectivités plus de pouvoir de gestion, pour adapter la santé aux populations et aux pathologies.
Après concernant une condamnation des ministres eux-mêmes, je n'en attends rien, ni peine financière, ni de prison… Mais il fallait cette plainte pour faire bouger les choses.
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