La chute. À tout le moins ressentie. C’est l’enseignement numéro 1 de notre sondage exclusif sur le moral des médecins : les praticiens libéraux ont un sentiment collectif de déclassement. Interrogés sur leur statut social (« c’est-à-dire, précisait l’enquête, sur [leur] place dans la société » et « la considération du grand public [pour le métier de médecin] »), près de neuf médecins sur dix (86 %) ont jugé que celui-ce s’était « dégradé » depuis 20 ans ; 7 % seulement d’irréductibles optimistes ont estimé avoir plutôt assisté sur la même période au renforcement de ce statut.
Après le corps enseignant, voici donc les médecins. Ils partagent cette impression de chute qu’ils soient hommes, femmes, jeunes ou moins jeunes, généralistes ou spécialistes... En fait, seule la couleur politique (annoncée par les personnes sondées) est vraiment déterminante pour faire fluctuer ce sentiment : plus on est à droite et plus on se sent déclassé (à 91 % chez tous les sympathisants de droite confondus, 77 % chez les sympathisants de gauche).
Heureux comme une femme, jeune, généraliste, en province
Paradoxalement, cette dégradation perçue ne va pas de pair avec une désillusion professionnelle. Car même si 40 % des médecins interrogés s’avouent « insatisfaits » de leur métier, une grosse majorité (59 %) s’affiche satisfaite et même, pour 13 %, « très » satisfaite.
« Heureux » au travail, les médecins le sont plus ou moins selon les critères de sexe, d’âge, d’implantation géographique... Notre sondage dessine ainsi le portrait du libéral le plus épanoui possible au travail : c’est une femme (64 % de satisfaction professionnelle versus 57 % pour les hommes) ; elle a moins de 45 ans (82 % de satisfaction versus 55 % après 60 ans), généraliste (60 % ; 57 % – mais attention, on compte 16 % de « très satisfaits » chez les spécialistes contre 11 % seulement chez les généralistes) ; elle vit en province (60 % ; 54 % à Paris) dans une grande ville (63 % ; 51 % dans les communes rurales) ; elle est plutôt de gauche que de droite (78 % versus 54 %).
Le système montré du doigt
En négatif apparaît l’insatisfait : un homme « moins jeune », parisien et spécialiste, dont le cœur penche à droite. Interrogé sur les raisons de son insatisfaction, il cite d’abord la dégradation du système de santé en France et ses conséquences sur la qualité de son travail (42 % de réponses). Viennent ensuite la rémunération, jugée « insuffisante » (28 %), puis la charge de travail (11 %). La difficile conciliation entre vies professionnelle et personnelle – dont, surprise, se plaignent davantage les hommes que les femmes – arrive bonne dernière, avec 4 % de réponses seulement.
C’est sur l’estimation de la charge de travail qu’apparaissent les plus fortes disparités au sein de la profession : les hommes (12 % d’insatisfaits sur cet item) en souffrent plus que les femmes (9 %) ; les jeunes (21 % chez les moins de 45 ans) bien davantage que leurs aînés (16 % entre 45 et 59 ans, 5 % au-delà de 60 ans) ; la province (13 %) plus que Paris (6 %). Dans les petites communes rurales, un quart des médecins interrogés se plaignent de leur charge de travail.
Les freins à l’installation décortiqués
Ce « On travaille trop ! », donc, mais aussi : « Nos charges sont trop lourdes », « Le C est trop bas », « Notre protection sociale est minable », « La paperasse nous étouffe »... Telles sont les doléances de la profession qui filtrent volontiers via la parole syndicale, les réseaux sociaux, le courrier des lecteurs du « Quotidien »... Autant de motifs souvent brandis pour expliquer les réticences à l’installation en libéral – rappelons que, selon les dernières statistiques de l’Ordre, 30 % des jeunes médecins vissent leur plaque dans les cinq ans suivant l’obtention de leur diplôme.
Pour en avoir le cœur net, nous vous avons interrogés sur ce qui, à votre sens, « explique le mieux (la) réticence des jeunes médecins à l’installation ».
À Paris ou en province, dans les grandes comme les petites villes, l’écrasante majorité des libéraux jugent que leur statut du social s’est dégradé depuis 20 ans
35 %
Pour plus du tiers des médecins de moins de 45 ans, et un peu plus pour les hommes que pour les femmes, le temps de travail est un frein à l’installation en libéral
Le temps de travail, cité par 31 % des médecins sondés, arrive en tête, un peu plus souvent choisi par les jeunes (35 % des moins de 45 ans, 27 % des 60 ans et plus) que par les moins jeunes, par les généralistes (37 %) que par les spécialistes (21 %), par la province (32 %) que par Paris (24 %) et davantage encore par les communes rurales (39 %).
Surprise à double détente, un petit quart seulement d’entre vous (23 %) citent les charges ; la proportion de jeunes que ce point chagrine est faible : 12 %. Géographiquement, c’est à Paris puis dans le Sud-Est que le poids des charges est le plus fortement incriminé. S’ils peuvent juger que la sécurisation liée au statut de salarié fait défaut à l’exercice en ville (21 %), les libéraux ne jalousent pas particulièrement les avantages sociaux de leurs confrères hospitaliers ou autre (12 % seulement y attachent de l’importance – 18 % des jeunes). Enfin, les relations avec l’assurance-maladie ne sont pas la bête noire que l’on pourrait imaginer (c’est un repoussoir pour 4 % des sondés) et encore moins les démarches administratives liées à l’ouverture d’un cabinet (2 %, 8 % chez les jeunes).
Fiche technique
Sondage réalisé par l’Ifop pour « le Quotidien » auprès d’un échantillon de 400 médecins (254 généralistes, 146 spécialistes), représentatif des médecins libéraux (méthode des quotas après stratification par région et catégorie d’agglomération). Les interviews ont été réalisées par téléphone entre le 6 et le 10 janvier 2014.
L'intégralité des résultats de notre sondage exclusif :
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