72 % du montant des fraudes détectées sont le fait des professionnels de santé, selon les chiffres 2021 de l'Assurance-maladie. Prenant appui sur ce résultat, l’émission d'enquête « Cash Investigation », dans numéro spécial intitulé « Hold-up à la Sécu » diffusé jeudi soir sur France 2, a longuement épinglé certains centres dentaires mais aussi les infirmiers, médecins et kinés, sur le « podium » des plus gros fraudeurs.
L'équipe d'Élise Lucet n'a pas hésité à mettre en scène une « course » de 100 mètres de la fraude avec sur la ligne de départ assurés, médecins, infirmiers et kinés. « Si les libéraux sont moins nombreux à frauder, commente le journaliste de Cash, ils pulvérisent tout les records en termes de montants ». À l'arrivée, ce sont les infirmiers libéraux qui remportent ce sprint de la fraude…
Selon Cash Investigation, la Cour des comptes a estimé en 2019, dans un prérapport resté confidentiel, le montant des fraudes commises chaque année par ces trois professions libérales. Troisième place pour les kinés, « avec 245 millions d’euros » de fraudes, médaille d’argent pour les généralistes, « avec 306 millions d’euros » et, sur la première marche, donc, les infirmiers libéraux, avec « un milliard d’euros ».
Le contrôle a posteriori des caisses inefficace ?
Face à ces montants vertigineux, « la Sécu n'a détecté que 158 millions d'euros d'indus en 2021 », souligne le journaliste. D'où la question répétée de l'efficacité des contrôles des caisses primaires qui se font a posteriori pour garantir des paiements rapides aux professionnels de santé. « On paye à l’aveugle. C’est la force de l’Assurance-maladie, on est assez fiers », déclare un responsable d'une Cpam dans cette émission.
L'enquête s'attarde aussi sur le cas d'un généraliste soupçonné de facturer ses consultations en parallèle de vacations en centre de vaccination Covid depuis plusieurs mois. « Pour 12 jours, il a reçu 9 670 euros d'indemnités mais il a transmis en même temps 14 759 euros de consultation », affirme le journaliste. Interrogé sur ce cas (en caméra cachée), le responsable de la caisse primaire botte en touche. « Le médecin ne doit pas avoir tout compris », avance-t-il.
Touraine, le tiers payant et la garantie de paiement
L'émission revient sur la généralisation du tiers payant décidée par Marisol Touraine, réforme qui avait soulevé une fronde des médecins de ville. Face au tollé médical, « cadeau » aurait été fait aux libéraux de leur accorder une garantie de paiement en moins de sept jours. « La Cour des comptes (...) a estimé que la garantie de paiement a ouvert un boulevard aux fraudeurs peu scrupuleux », résume le journaliste.
Interrogé sur ce point, François Braun, ministre de la Santé, assure que la part de fraudeurs parmi les professionnels de santé est « minime » et « qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain ». « Aujourd'hui, les contrôles se font de façon ciblée et a posteriori, confirme-t-il. Cela ne vaut pas le coup de pénaliser la majorité des médecins qui font bien leur boulot en faisant sauter la garantie de paiement. »
Également sollicité, Thomas Fatôme, DG de la Cnam, ne dévie pas du discours ministériel. « Nos actions se font a posteriori car notre système est construit pour payer plus vite les professionnels et les assurés », répond le patron de l'Assurance-maladie. La Cnam amplifiera ses actions de contrôle, assure-t-il. Thomas Fatôme a fixé comme nouvel objectif de détecter 500 millions d'euros par an de fraudes.
Contestable
Ce vendredi, tout en condamnant fermement « les distorsions » et « escroqueries » mises en lumière par l'émission (actes fictifs, surfacturations), la Fédération nationale des infirmiers (FNI) a déploré « une émission caricaturale sur le fond comme sur la forme ». « Il ne s'agit pas de s'appuyer sur quelques individus pour jeter l'opprobre sur toute une profession. Le dossier n'est pas aussi simple que ce qui a été présenté », déclare-t-il.
Pour le président de la FNI, le montant d'un milliard d'euros de fraudes des infirmiers paraît « contestable ». « Notre enveloppe globale annuelle est de l'ordre de 13 milliards d'euros. On demande une confirmation par la Cnam ou la Cour des comptes de ce chiffre jeté en pâture par Cash investigation », poursuit-il. Le patron de la FNI appelle à distinguer les fraudes et les erreurs de cotation, qui peuvent être de bonne foi. « La nomenclature est complexe, explique-t-il, avec des règles de cumul des actes qui diffèrent selon les prises en charge ».
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