Cette histoire a fait de leur vie « un enfer », racontent au « Quotidien » trois victimes – médecins ou femmes de médecins.
Ils sont surendettés, harcelés par des huissiers, leurs biens sont hypothéqués. Tous ont le sentiment d’avoir été des « cibles parfaites », soucieuses de s’assurer une meilleure retraite, mais débordées et néophytes en matière immobilière. Tous sont passés par des moments très sombres, avant de trouver du réconfort au sein de l’Association nationale des victimes de l’immobilier (Anvi-Asdevilm).
« Je n’y connaissais rien »
Leurs récits sont interchangeables. « J’ai toujours renvoyé les démarcheurs qui me proposent des produits immobiliers. Mais ceux-là m’ont été recommandés par un ami dentiste. Je n’y connaissais rien et ils me proposaient de s’occuper de tout », raconte le Dr Corinne Governo, médecin généraliste à Champenoux (Meurthe-et-Moselle). Elle a acheté cinq appartements et s’est endettée à hauteur d’un million d’euros auprès de cinq banques...
Deuxième témoignage encore plus édifiant. « Ils m’ont présenté une solution strictement sécurisée, totalement autofinancée, sans apport personnel, précise le Dr Marc Daumet, médecin généraliste à Saint-Marcellin (Isère). Ils avaient le soutien de grandes banques, de grandes études notariales, ils travaillaient avec des promoteurs prestigieux. Tout était géré, je n’avais rien à faire. » Il a acheté 17 appartements pour un montant de 3,1 millions d’euros.
La société a employé les grands moyens pour arriver à ses fins. « Nous avons été reçus par le dirigeant d’Apollonia dans une suite d’un grand hôtel à Paris, souligne Anne-Marie Braun, la femme du Dr Joël Braun, médecin généraliste à Souppes-sur-Loing (Seine-et-Marne). Il nous a assuré que nous n’engagerions aucun argent personnel. La défiscalisation et les loyers devaient couvrir les emprunts ». Eux ont acheté six appartements pour 1,5 million d’euros...
Clientèle aisée
Après plusieurs longues rencontres initiales, qui les ont mis en confiance, tous ces médecins déclarent avoir signé « dans l’urgence, une quantité phénoménale » de papiers, « entre deux consultations », « dans un hall de gare », ou avant de prendre l’avion. Et sans conserver de double des papiers.
L’agence immobilière aixoise Apollonia a sévi de 1998 à 2008, profitant du régime fiscal avantageux de
« loueur en meublé professionnel » conçu – comme son nom l’indique – pour des investisseurs professionnels puisque les revenus locatifs doivent être, au minimum, de 23 000 euros annuels.
Mais la société Apollonia a ciblé des particuliers aisés, dont les médecins, en leur promettant que leur investissement conséquent – 2 millions d’euros en moyenne – serait couvert par la défiscalisation et les loyers. « Mais les loyers étaient surévalués, les vendeurs prenaient une commission considérable de 19 à 21 %, les biens ont été achetés plus de deux fois le prix du marché », explique l’avocat de l’association des victimes, Me Jacques Gobert.
Au début, les avantages de la défiscalisation ont couvert les mensualités des emprunts, notamment grâce au remboursement de la TVA : pour des achats d’un montant de deux millions d’euros par exemple, le chèque du fisc s’élève à 400 000 euros. « Dans un premier temps, les loyers ainsi que l’apport de la TVA restituée et les avantages de la défiscalisation ont couvert les mensualités qui comportaient des différés d’amortissement d’un à deux ans, explique le Dr Marc Daumet. Mais très rapidement, en moins de trois ans, les réserves de TVA se sont épuisées et les mensualités d’emprunt se sont envolées. »
Naufrage judiciaire ?
Les médias ont eu peu de compassion pour ces victimes de ce scandale immobilier. Me Jacques Gobert, l’avocat de l’association, résume la perception de cette affaire. « Ce sont des médecins, des gens perçus comme riches, qui se sont faits escroquer en voulant défiscaliser des biens immobiliers : tant pis pour eux ! Ce sont en réalité des gens de la classe moyenne supérieure, souvent avec peu de patrimoine et inquiets pour leur retraite ».
Les médecins ne sont d’ailleurs pas les seuls à être tombés dans le panneau : la société Apollonia a longtemps bénéficié d’une excellente réputation dans les médias et auprès des banques.
Sept ans après la révélation de l’affaire, elle semble toujours au point mort. Il y a pourtant eu 32 mises en examen, dont les dirigeants d’Apollonia, placés sous contrôles. Trois notaires ont été sanctionnés. Cinq banques ont d’abord mises en examen avant de passer sous le statut de témoin assisté.
Les victimes d’Apollonia ont cessé de payer leurs emprunts car elles en sont incapables, lourdement endettées. En attendant un procès qui n’arrive pas, le Dr Marc Daumet n’est pas seul à penser qu’il n’est pas « traité comme un citoyen comme les autres ». « Nous avons apporté beaucoup de preuves à la justice. Mais en France, il est très difficile de s’attaquer à des banques ».
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