« Le pire est à venir » : face aux déserts, l'Académie défend son service médical citoyen d'un an pour les nouveaux diplômés

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Publié le 19/04/2023
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Crédit photo : PHANIE

Le constat de pénurie médicale est connu mais cette fois le ton est grave. Mardi 18 avril, lors d'une séance de l'Académie nationale de médecine consacrée au vote* d'un rapport sur les déserts médicaux, le Pr Patrice Queneau, rapporteur, a expliqué que la carence de médecins en équivalent d’exercice temps plein touchait désormais « tous les territoires » (en premier lieu l'Île-de-France !) et atteignait « un niveau critique » (11 % de patients sans médecin traitant, 1,6 million de Français renoncent chaque année à des soins médicaux, diminution de 11 % du nombre de généralistes entre 2010 et 2022). « Et le pire est à venir, a même alerté le professeur de thérapeutique devant ses pairs. Dès lors, comment faire face à l'urgence tout en souhaitant que la liberté d'installation soit respectée ? »

Pour y voir plus clair, ce rapport élaboré par un groupe de travail piloté par le Pr Queneau en tandem avec le Pr Rissane Ourabah – généraliste à la retraite – a mené pas moins de 30 auditions. Sa recommandation phare consiste à instaurer « un service médical citoyen » d’un an pour les médecins nouvellement diplômés, sans obligation. Ce service permettrait d'épauler les praticiens installés dans zones sous-denses et d’éclairer le choix de carrière des jeunes médecins par une expérience de terrain.

Délégation de tâches et cumul emploi retraite 

Plus classiquement, l'Académie préconise de développer les délégations de tâches à d'autres professionnels de santé, notamment infirmiers, IPA (infirmiers en pratique avancée) ou pharmaciens. Ces partages d'actes et d'activités doivent « s’inscrire dans des parcours de soins coordonnés par le médecin, en respectant le champ de compétence de chacun », précise l'Académie, sensible aux craintes des médecins qui redoutent des transferts improvisés, voire un éclatement des métiers de santé.

La « levée des obstacles administratifs », y compris pour faciliter le cumul emploi retraite (avec des cotisations permettant l'acquisition de droits supplémentaires), est aussi au programme, de même que la réévaluation des visites à domicile. 

Le rapport appelle aussi l'État à augmenter « immédiatement » et de manière conséquente le numerus apertus (qui a succédé au numerus clausus), en adaptant l'offre médicale aux besoins réels des territoires. Mais ce travail exige « une cartographie précise et actualisée ». Cela démontrerait « qu'il faut en moyenne plus de deux médecins pour remplacer un médecin partant à la retraite », a glissé le Pr Queneau. Une façon d'expliquer que le modèle ancien du médecin libéral stakhanoviste en solo a vécu.  

L'Académie s'inquiète au passage de la quatrième d'internat de médecine générale, une réforme controversée votée dans la dernière loi de financement de la Sécu censée s'appliquer pour la nouvelle promotion d'internes. « Comme elle est adoptée, nous souhaitons qu'elle soit vraiment professionnalisante, avec des stages ambulatoires organisés avec les facs sans aucune obligatoire territoriale », a recadré le doyen honoraire de la faculté de médecine de Saint-Étienne. Cette année supplémentaire « ne peut pas être une solution pour pallier les déficits dans les zones sous-dotées », a-t-il martelé, alors que les jeunes attendent toujours un rapport pour éclairer la mise en œuvre de cette réforme.

La féminisation en question ? 

« Cette situation [de pénurie médicale] est due à la féminisation de la profession », a lancé un membre de l'Académie lors du débat, une remarque qui a provoqué quelques remous. « Il ne faut pas faire porter cette situation à la féminisation. C’est un problème sociétal qui concerne les modes d’exercice… », objecte le Pr Queneau. 

L'idée de rendre obligatoire le service médical citoyen a été avancée. Incitation, coercition? Le débat traverse aussi l'Académie de médecine. « Les avis sont partagés, admet le rapporteur. Mais le conseil d’administration a considéré que ce n’est pas à l’Académie d'établir un caractère obligatoire. Même si cela était efficace, cela soulèverait une forte opposition ». Côté patients, la sensibilisation de la population au bon usage de la médecine, incluant le « respect des rendez-vous pris » auprès des médecins et autres soignants a aussi été rappelée. 

Présent lors de cette séance, le Pr Jean-François Mattei a demandé à l'Académie d'interroger le gouvernement sur le tarif de la consultation des généralistes et l'équité avec les autres spécialités. « Dès lors qu'on leur demande de faire une quatrième année d'internat, comme les autres spécialistes, il faudrait que leur consultation soit alignée », a-t-il plaidé. Le pédiatre et ancien ministre de la Santé a insisté sur le développement de l'exercice multisite. « C'est probablement la solution qui permet de faire la synthèse entre les besoins et les désirs des uns et des autres », a-t-il soutenu. Le développement de l'exercice multisite fait effectivement partie des recommandations du rapport de l'Académie, de même que la majoration de 20 % des honoraires des médecins dans les zones déficitaires.

* Parmi les présents, l’Académie a adopté par 62 voix pour et 6 contre.


Source : lequotidiendumedecin.fr