Faut-il réguler l’installation des médecins libéraux comme c’est le cas dans certains pays européens ? La question revient régulièrement sur le tapis alors que la France est confrontée depuis des années au problème de la désertification médicale. Parfois citée en exemple, l’Allemagne a mis en place une régulation dès les années 1990. Pour quelle efficacité ? Ce modèle est-il transposable en France ? Chercheur affilié au laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Sciences Po) et psychiatre exerçant en Allemagne (région de la Sarre), le Dr Matthias Brunn décrypte pour « Le Quotidien » le système allemand.
« LE QUOTIDIEN » - L’Allemagne est-elle confrontée à la désertification médicale au même titre que la France ?
Dr MATTHIAS BRUNN - L’Allemagne n’est pas dans la même situation pour trois raisons principales. D’abord, elle est mieux dotée en médecins. Si l’on tient compte de l’hôpital et de l’ambulatoire, les effectifs ramenés à la population sont de l’ordre de 30 % supérieurs à ceux de la France. Ensuite, la répartition des populations sur le territoire n’est pas la même dans les deux pays. Il y a moins cette notion de désert qu’on connaît en France. Même lorsque vous habitez dans un petit village, vous n’êtes jamais très loin d’un centre urbain avec des services, des écoles, des crèches, des théâtres, des cinémas et donc des médecins qui s’y installent. Troisième point, il y a depuis longtemps une volonté de rationaliser le temps médical. Par exemple, en Allemagne, il y a toujours eu des assistants médicaux pour accompagner les médecins. Il y en a parfois quatre ou cinq dans des cabinets de groupe très bien organisés. Tout cela fait qu’on ne parle pas véritablement de désert médical en Allemagne. Cela ne veut pas dire que tout va bien. Le pays est aussi confronté à un manque de professionnels de santé qui s’accentue. Comme en France, il y a beaucoup de médecins qui partent ou qui vont partir à la retraite.
Comment fonctionne le dispositif de régulation de l’installation des médecins outre-Rhin ? Est-il efficace ?
Le principe est de limiter l’accès aux zones surdotées pour inciter les médecins à s’installer dans les zones moins bien dotées. Dans chaque territoire, une densité cible est déterminée, qui correspond aux besoins de la population dans chaque spécialité, dont la médecine générale. L’installation n’est possible que si le nombre de médecins ne dépasse pas ce seuil de densité de plus de 10 %.
Ce système est-il bien accepté par les médecins ?
Oui et encore aujourd’hui il n’est pas remis en cause. De nombreux médecins ont grandi avec cette régulation qui remonte aux années 90. Il faut comprendre qu’elle a été mise en place à une époque où on était dans un système surdoté et où il pouvait y avoir une concurrence entre les médecins. Cette régulation leur donnait des garanties. Par ailleurs, cette approche de quantifier finement les besoins médicaux de la population, de rationaliser et de planifier la répartition des professionnels de santé, correspond assez bien à l’état d’esprit des Allemands. Et puis il ne faut pas oublier que les médecins sont partie prenante de ce système. Ce sont les associations de médecins conventionnés qui organisent et font évoluer le dispositif de régulation.
Ce dispositif de régulation a une utilité tant qu’il existe des zones surdotées. Mais est-ce encore le cas alors que la pénurie médicale s’installe un peu partout ?
C’est toute la question. Je pense que nous sommes encore dans une situation de bascule. Il existe toujours des régions surdotées comme Munich, la Bavière et la région des lacs. Mais on va sans doute bientôt se rendre compte que la situation se dégrade même dans ces territoires. Il y a des régions, en Allemagne de l’Est par exemple, où l’accès aux soins est déjà difficile. Mais cela reste très limité.
Est-ce que cela signifie que l’Allemagne réfléchit à des systèmes de régulation plus coercitifs, comme l’obligation de s’installer en zone sous-dotée ?
L’Allemagne fait partie des pays qui ont mis en place un système de régulation assez strict. Je ne suis pas sûr que les médecins accepteraient davantage de contraintes. L’idée est plutôt de se diriger vers des mesures d’incitations, de prendre en compte les souhaits des professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de proposer des mi-temps à ceux qui le souhaitent, d’améliorer le cadre de vie, de répondre aux besoins de formation, d’accompagnement… Il s’agit de rendre le métier plus attractif. Il existe déjà des incitations à l’installation. Les candidats peuvent négocier directement avec les associations de médecins conventionnés pour obtenir des aides en fonction du contexte local. Il est également possible d’obtenir des subventions, par exemple pour embaucher un interne.
Ce modèle allemand est-il transposable en France pour réduire la désertification médicale ?
Il faut garder à l’esprit que le système de régulation mis en place en Allemagne était à l’origine destiné à limiter la concurrence entre les médecins dans les zones surdotées. Ça a plutôt bien fonctionné. Est-ce que cela permettrait de réduire les zones sous-dotées en France ? C’est très compliqué de répondre à cette question. Comme je l’ai déjà dit, la situation démographique, les effectifs de médecins et l’organisation des territoires sont très différents dans les deux pays et cela a joué en Allemagne pour freiner la désertification, peut-être au moins autant que le système de régulation.
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