IL Y A QUELQUES MOIS, au paroxysme des tensions avec Roselyne Bachelot, lorsque Frédéric van Roekeghem défendait avec acharnement l’autonomie de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) et son expertise en matière de gestion du risque face aux futures agences régionales de santé (ARS), beaucoup d’observateurs du secteur ne donnaient pas cher de sa peau. Et pourtant… Celui que certains parlementaires appellent toujours le « proconsul », mais que les directeurs de caisse et les médecins surnomment plus volontiers « Rocky », est en passe de rempiler pour un deuxième mandat de cinq ans à la direction de l’assurance-maladie. Roselyne Bachelot a proposé de renouveler ses fonctions et le conseil de la CNAM, à l’unanimité, ne s’y est pas opposé. Ne manque plus que l’adoubement imminent du conseil des ministres.
Manager et tacticien.
Son bilan a convaincu l’Élysée qu’il restait, à 48 ans, l’homme de la situation pour piloter l’assurance-maladie, ou plutôt pour la « manager » comme une entreprise puisque, en cinq ans, cet ancien polytechnicien, qui fut directeur de l’audit du groupe d’assurances AXA, a imposé à la Sécu et à ses équipes les méthodes du privé : restructuration à la hache du réseau des caisses primaires, non-remplacement d’un départ sur deux, fixation d’objectifs précis à ses directeurs qui doivent rendre des comptes, recours – via les délégués de l’assurance-maladie – aux techniques « marketing » pour transformer les comportements en matière de prescriptions, benchmarking (analyses comparatives pour s’inspirer des idées qui marchent ailleurs…).
Une stratégie payante puisque le déficit de la branche maladie a été presque divisé par trois entre 2004 et 2008, passant de près de douze milliards d’euros à un peu plus de quatre, avant que la crise sonne le glas de cette tendance en plombant les recettes. Pour la première fois cette année, l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) a été quasiment respecté et beaucoup mettent ce résultat inespéré au crédit de la politique de maîtrise des dépenses impulsée par Frédéric van Roekeghem.
Lorsqu’il est nommé le 22 septembre 2004, sa feuille de route ressemble à une mission impossible. À la tête d’une branche maladie exsangue, il doit redresser la barre rapidement, l’objectif étant le retour à l’équilibre à l’horizon 2007. Il faut surtout mettre en musique la réforme de l’assurance-maladie sur le médecin traitant, toute juste votée, un plan que Frédéric van Roekeghem… a lui-même élaboré quelques mois plus tôt en tant que directeur de cabinet du ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy.
Du discours aux actes. Convaincu que rien ne sera possible sans les médecins, mais que chaque euro doit être utilement dépensé, il s’attache à construire un nouveau partenariat conventionnel en développant une stratégie « gagnant/gagnant » qui conditionne les revalorisations d’honoraires au respect d’objectifs de maîtrise médicalisée. Puisque la loi de 2004 lui confère ce pouvoir, cet ingénieur en chef de l’armement pilote directement les discussions avec les médecins, se révélant redoutable négociateur. Objectifs individualisés, traque des arrêts malade injustifiés, régulation du médicament, génériques… : près de 2,5 milliards d’euros seront économisés en quatre ans. Il amorce aussi le dialogue avec les complémentaires et renforce la lutte contre la fraude.
Même si, depuis 2008, la machine conventionnelle s’est grippée, même si Bercy s’impatiente de l’essoufflement de la dynamique de maîtrise, Frédéric van Roekeghem a su se rendre indispensable jusqu’au bout en défrichant de nouveaux esapces : contre l’avis des syndicats et de l’Ordre, il a imposé la mise en place des « CAPI », ces contrats individuels sur objectifs déjà signés par près de 12 000 médecins ; et il vient d’arracher un accord tripartite en vue de la création du secteur optionnel.
Autoritaire.
Les médecins libéraux en tout cas ne lui retirent pas leur confiance, une forme d’exploit tant les derniers mois ont été difficiles (blocage tarifaire, lancement controversé des CAPI, conflits sur la cotation CS…). « Il connaît bien l’exercice libéral et il n’est pas anti-médecins, juge le Dr Michel Chassang, président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français). Pour autant, il ne faut jamais s’y tromper : il ne défend que les intérêts de l’assurance-maladie, avec lui c’est toujours difficile. C’est un adepte du mouvement circulaire, je lui conseillerais une trajectoire plus rectiligne… ». Le Dr Christian Jeambrun, président du SML (Syndicat des médecins libéraux), invoque le droit d’inventaire. « Si je suis assuré ou ministre de la Santé, je me dis qu’il n’existe pas de meilleur gestionnaire que lui. Chapeau l’artiste ! Mais en tant que professionnel, c’est une autre histoire. Il ne tient quasiment pas compte de nos avis et il est assez autoritaire. J’attends encore de voir s’il peut être un vrai partenaire ». MG-France est plus sévère, sans toutefois fermer la porte. « Depuis 2005, il a mené une politique contre les généralistes, tranche le président Martial Olivier-Koehret. Va-t-il maintenant décliner la loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires, NDLR] qui définit les missions et trouver enfin des moyens ? Ce n’est pas une affaire d’individu, je ne fais confiance qu’aux actes. »
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