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Dossier

Rémunération et pratiques médicales

Après dix ans d'existence, la ROSP en question

Par Marie Foult et Cyrille Dupuis - Publié le 30/04/2021
Après dix ans d'existence, la ROSP en question

Créée en 2011, la ROSP fait partie du paysage tarifaire mais reste très exposée aux critiques
VOISIN/PHANIE

La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) 2020 a été très influencée par la crise sanitaire – avec des résultats en baisse sur de nombreux indicateurs de prévention et dépistage. Les syndicats de médecins libéraux plaident pour une réforme voire une suppression de l'outil. Le directeur de la CNAM admet qu'une évolution est nécessaire.

Faut-il en finir avec la rémunération sur objectifs de santé publique ? Après une année 2020 percutée par la crise sanitaire, beaucoup, dans la profession, se posent la question d'une réforme, voire d'un enterrement de première classe.

Placés sous le signe du Covid, les résultats de cette ROSP clinique sont presque impossibles à analyser ou à comparer par rapport aux années antérieures. Avec le premier confinement, les cabinets médicaux libéraux ont été désertés et de nombreuses activités déprogrammées, situation qui a eu des répercussions sur les indicateurs notamment en termes de prévention et de suivi des pathologies chroniques (tableau détaillé page 12).

Chute des actes de dépistage des cancers et des dosages biologiques, moindre suivi des patients diabétiques ou sous AVK, recours massif aux psychotropes… Nombre de résultats constatés ne résultent pas « d'un changement des pratiques des médecins », concède la CNAM. Son directeur général, Thomas Fatôme, le reconnaît dans nos colonnes (lire page 13). « C'est une année exceptionnelle qui rend très difficile de faire la part des choses… »

Sauver les rémunérations

Conséquence de cet exercice très atypique, la CNAM a dû mettre en place des mesures d'ajustement pour préserver toutes les rémunérations des médecins libéraux (encadré), en concertation avec les syndicats médicaux. Raboter les primes forfaitaires dans le contexte d'état d'urgence sanitaire aurait eu des airs de double peine…

Des coefficients majorateurs ont ainsi été appliqués pour les ROSP médecin traitant de l'adulte et de l'enfant, tandis que les cardiologues et les gastro-entérologues ont bénéficié d'une clause de sauvegarde. Au final, l'enveloppe globale de la ROSP clinique 2020 – hors centres de santé et MT de l'enfant – atteint 279,5 millions d’euros pour 72 098 praticiens libéraux rémunérés, un montant même légèrement supérieur à celui de l'année précédente (275,9 millions d'euros).

Élaguer 

Mais après cette année chaotique, ne faut-il pas réviser le dispositif même de la ROSP, conçu il y a dix ans pour améliorer les pratiques des médecins libéraux ? Cette version française du « P4P » britannique (paiement à la performance) a-t-elle encore sa place ?

Lors des récentes élections professionnelles aux URPS, la quasi-totalité des syndicats ont réclamé des changements, quand ce n'était pas la suppression de cet outil. Et le directeur général de la CNAM promet déjà un large audit en 2022/2023, lors de la renégociation de la future convention, tout en écartant la suppression.

Principal reproche, la complexité intrinsèque et le manque de lisibilité du mécanisme. « Le dispositif est devenu trop compliqué, avec trop d'indicateurs multifactoriels », pointe le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. « Les indicateurs n'ont pas bougé depuis 2016 et certains ne sont pas simples à atteindre. Et il est vrai que plus il y a d'indicateurs, moins les médecins les connaissent », souligne le Dr Jacques Battistoni, leader de MG France. « On ne s'y retrouve plus », juge le Dr Philippe Vermesch, président du SML, qui prône « un esprit de simplicité ».

Les syndicats les moins sévères avec la ROSP – qui de l'aveu de leur leaders représente un complément « non négligeable » du revenu des médecins – demandent au minimum une réduction du nombre de paramètres cliniques, pour n'en cibler qu'une dizaine au lieu d'une trentaine (pour le médecin traitant de l'adulte). Le SML verrait bien « entre 10 et 15 indicateurs » ciblés sur la prévention de l'obésité, le suivi du diabète ou l'addictologie. La CSMF penche aussi pour un resserrement sur « trois ou quatre grandes thématiques » (pertinence, santé publique), à élaborer avec le collège de la médecine générale (CMG) et les conseils nationaux professionnels (CNP). En tout état de cause, le choix des items devra être fait lors des prochaines négociations, plaident les responsables syndicaux.

« Il faut mettre le paquet sur une dizaine d'indicateurs comme le fond d'œil chez les diabétiques, la vaccination, l'hémoglobine glyquée, les maladies cardiovasculaires ou le dépistage du papillomavirus pendant trois à quatre ans, puis en faire un bilan, quitte à ajuster les indicateurs », détaille le Dr Stéphane Pinard, président de la branche généraliste de la FMF, qui a planché sur le sujet avec le CMG. Sa centrale appelle à une refonte totale du dispositif, devenu « une usine à gaz ».

Un « contrat léonin » pour l'UFML

Mais les plus critiques ne sont pas prêts à un aggiornamento de la ROSP et préféreraient tourner définitivement cette page. L'UFML-Syndicat, qui vient de gagner sa représentativité et fera bientôt son entrée à la table des négociations, prône la suppression de ce mécanisme. « C'est un contrat léonin, car une des deux parties a largement la main, considère le Dr Jérôme Marty, son président. La caisse fait ce qu'elle veut avec les indicateurs, on ne connaît pas le mode de calcul des sommes versées ou leur ventilation, à la base, ce n'est pas la fonction de l'Assurance-maladie de payer les médecins. » À mots couverts, certains remettent en avant le caractère « éthiquement discutable » du système de paiement à la performance, le risque de calculs « biaisés » ou de gel des honoraires…       

Président d'Avenir Spé (allié avec Le BLOC), le Dr Patrick Gasser estime que « rien ne va » dans la ROSP. « Elle ne change pas grand-chose sur le plan de la qualité des pratiques », tranche-t-il. Quant à l'ouverture à davantage de spécialités, « il n'y a pas une demande pressante du terrain d'y entrer, au contraire », affirme le gastro-entérologue. Pourtant, certaines verticalités – comme les biologistes médicaux, les rhumatos, voire les gynécologues – s'étaient positionnées ces dernières années en faveur d'une ROSP spécifique.    

La question est aussi (surtout) celle des prochaines priorités sur le terrain des honoraires – les syndicats privilégiant la hausse du paiement à l'acte avec une consultation de référence comprise entre 30 et 50 euros et une réévaluation des nomenclatures. « Plutôt que d'ouvrir la ROSP aux endocrinologues, j'aurais préféré qu'on valorise fortement leur acte, résume le Dr Gasser. Avoir une politique de forfait n'est pas forcément synonyme de meilleure prise en charge. »

Marie Foult