Courrier des lecteurs

Vers la fin de la médecine libérale ?

Publié le 27/10/2016
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Il y a quelques jours de cela, nous avons appris qu’un amendement au PLFSS risque de modifier les conditions d’installations des jeunes praticiens en libéral. Un conventionnement sélectif va éviter une dotation trop importante de praticiens dans les zones déjà fortement pourvues. Une telle réforme met à mal la liberté d’installation chère aux praticiens libéraux.

La régulation dans l’installation de certains professionnels de santé existe (cas des pharmaciens et des infirmières). Cependant, contrairement à ces autres professions, le praticien libéral ne peut se conformer aux mêmes règles. En effet, le champ d’activité des médecins reste très vaste, et il est difficile d’avoir une équivalence en ce qui concerne la spécificité d’un praticien par rapport à un autre.

Ainsi si nous prenons comme exemple la dermatologie, certains souhaitent effectuer des actes de chirurgie esthétique, d’autres des consultations sans effectuer de chirurgie, d’autres vont centrer leur activité sur la chirurgie… En ce qui concerne la médecine générale (spécialité qui sera la plus impactée par de telles mesures), certains praticiens vont souhaiter faire exclusivement de l’homéopathie, de l’acupuncture… Comment dans de telles conditions, les pouvoirs publics (il s’agirait des ARS) pourraient déterminer cette spécificité, et de quelle façon ?

De plus, un autre élément doit être pris en compte : la spécificité du secteur libéral qui permet à certains confrères d’avoir une activité à plein temps, à mi-temps, ou associant libéral et activité salariée. Comment les ARS pourront résoudre cette difficile question parfois évolutive au gré des souhaits, des propositions faites à certains collègues… ?

D’autre part, il serait opportun de savoir sur quels critères seront définies les zones déficitaires. En effet, actuellement, même dans les zones urbaines « attractives », les patients se plaignent de ne pas trouver de médecins traitants (la majorité des praticiens ayant une patientèle trop fournie ne souhaite pas avoir de nouveaux patients). De quelles façons les jeunes collègues vont réagir vis-à-vis de cette situation antilibérale ? Vont-ils décider de n’effectuer que des remplacements ? Vont-ils décider de ne pas embrasser une carrière dans le secteur privé ?

Au final, il est probable que cette mesure risque de devenir très impopulaire auprès des jeunes générations (les vieux généralistes comme moi désapprouvent également cette réforme), et ne permettra pas de résoudre la difficile équation de l’installation des praticiens en zone sous-dotée. Bien entendu, les politiques sont très heureux de donner leur version à la crise démographique que nous vivons actuellement. Cependant, ils oublient que pour pouvoir être efficace, il faut connaître tous les écueils qui poussent les libéraux à ne pas s’installer en libéral. Pour ce faire, il faut aller au-devant d’eux, et discuter avec ces derniers pour proposer des solutions plus convaincantes que des incitations financières ridicules.

Bien entendu, cela demande du temps, et il est plus simple d’imposer des solutions pas nécessairement en adéquation avec les aspirations des professionnels de santé. En fait, dans ce raisonnement nous oublions une chose importante : un député œuvre pour améliorer le confort de ses administrés, mais aussi (et actuellement c’est le plus important) souhaite flatter son électorat pour pouvoir être réélu.

Dans cette situation, le médecin libéral n’est qu’un pion que l’on va déplacer sans aucun état d’âme. Mais n’oublions pas que de telles manœuvres risquent de provoquer une plus grande défiance de la population à l’égard des politiques, car nombreux sont ceux qui restent attachés au système médical actuel, et gardent toute leur confiance en leur médecin.

Dr Pierre Frances, Banyuls-sur-Mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin: 9529