Le rituel est immuable.
Quatre fois par an, une longue file s'étire devant le cabinet du Dr Thierry Bangil, ophtalmologiste en secteur I à Pont-Saint-Esprit, une commune de 10 000 habitants, située dans le Gard au carrefour de la Drôme, du Vaucluse et de l'Ardèche. Le Dr Bangil a-t-il un remède miracle pour traiter la DMLA ? Guérit-il de la myopie par apposition des mains ? Non, rien de tout cela ! Seul ophtalmo à 15 kilomètres à la ronde, le praticien est simplement, à l'instar de nombreux confrères, victime de son succès et de la désertification médicale.
« La plupart des rendez-vous pour renouvellement d'ordonnance de lunettes sont à trois mois. Les premiers jours de chaque trimestre, je mobilise donc mes deux secrétaires, qui sont à mi-temps, et l'orthoptiste, qui est par ailleurs mon épouse, pour remplir ce carnet de rendez-vous, explique le Dr Bangil, par ailleurs administrateur du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF). En revanche, je prends au jour le jour les patients atteints de pathologies évolutives. Eux, n'attendent pas. » L'agenda du médecin est très segmenté. Le praticien réserve deux demi-journées par semaine (le lundi matin et le mardi après-midi) au renouvellement des ordonnances de lunettes. Le lundi après-midi est réservé aux maladies rétiniennes ; le mardi matin et la journée du jeudi aux pathologies de pressions oculaires ; le mercredi aux enfants ; et le vendredi, le médecin a des activités Laser au sein d'une clinique voisine... Le tout est saupoudré d'urgences.
Une méthode critiquée
La technique, bien qu'évidemment critiquable, est ainsi rodée depuis de nombreuses années. Mais un récent article paru dans le « Midi Libre » a atteint le médecin. Sur une demi-page du quotidien régional s'étale donc cette file d'attente d'une quarantaine de patients. L'article est émaillé de reproches de patients. « Je regrette qu'on nous oblige à faire le rang. C'est totalement archaïque », dénonce l'une qui affirme avoir appelé à plusieurs reprises pendant une semaine. « Il n'y a jamais d'interlocuteur à l'autre bout de fil. Ils n'ont plus la courtoisie de nous prendre au téléphone », ajoute-t-elle. « Je dénonce cette méthode de prise de rendez-vous. Les gens sont écœurés. S'il y a une pétition je la signe ! » Le praticien défend sa méthode. « Il est possible de prendre rendez-vous le jour-même par téléphone, explique-t-il. Les patients préfèrent venir mais je n'oblige personne à faire la queue. » Le Dr Bangil préfère pour l'heure ne pas faire appel à un service de prise de rendez-vous en ligne qui pose selon lui un problème de confidentialité.
La confiance renouvelée des patients
Le Dr Bangil, âgé de 60 ans, a reçu cet article comme une gifle alors qu'il a le sentiment de tout faire pour garantir l'accès aux soins. « Je passe pour un méchant, regrette-t-il. Ça ne me fait pas de la publicité. » « Ce n'est pas tellement pour moi, mais comment voulez-vous inciter un jeune à venir prendre le relais », ajoute le praticien, qui a créé le cabinet en 1987. À l’époque, les confrères étaient plus nombreux aux alentours. « On comptait trois ophtalmos à Pierrelatte, un à Bollène et trois à Bagnols... Aujourd'hui, alors que la population augmente et que le nombre de pathologies explose, ils ne sont plus que quatre, et l'ensemble a le même âge que moi, certains sont même plus âgés. »
Si l'article de « Midi Libre » a fait du bruit en ville, le médecin garde toutefois la tête haute car de nombreux patients et des confrères généralistes lui témoignent une confiance renouvelée. Partagé sur Facebook, l'article a provoqué des commentaires davantage bienveillants, comme celui de cette internaute prénommée Françoise : « Pauvre Dr Bangil, le jour où il prendra sa retraite, il n'y aura plus d'ophtalmo à Pont. »
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