ORGANISÉ dans le cadre du « Forum européen de la santé » de Gastein, en Autriche, par la Commission européenne, un débat sur la mobilité a passé en revue les questions soulevées par cette dernière et fait le point sur les initiatives lancées par l’UE, dont une enquête auprès des professionnels de santé européens. Car si la mobilité des médecins est visible aussi bien dans les pays de départ que dans les zones d’accueil, on manque encore cruellement de données chiffrées sur l’ampleur du phénomène, de même que sur ses effets sur l’organisation et la qualité des soins.
Plusieurs pays européens, notamment à l’est, réclament des mesures pour endiguer ces mouvements : la Lettonie, par exemple, montre du doigt le NHS (National Health Service) britannique qui n’hésite pas, pour attirer des médecins lettons, à faire placarder des affiches dans certaines cliniques de ce petit pays balte de 2 millions d’habitants, pourtant déjà confronté à une sérieuse pénurie de médecins. Certes, le Royaume-Uni – comme d’autres pays – a signé un « engagement moral » à ne pas recruter massivement des médecins dans des pays déjà en pénurie, mais ce code, à l’instar de beaucoup de documents du même type, est peu respecté et facile à contourner. L’OMS doit elle aussi promulguer prochainement un document équivalent, mais les observateurs sont déjà sceptiques sur sa portée.
• Des recettes pour enrayer les fuites.
Les premiers enseignements de l’étude lancée par la Commission auprès de 200 organisations de professions de santé en Europe, dont 14 françaises, ont été présentés : les professionnels estiment que la « modération » des migrations passe par une amélioration des conditions de travail, du statut social et de rémunération sur place, et pensent que l’Europe peut lancer des actions innovantes dans ce domaine. Selon ces organisations, il importe de favoriser « le retour à la pratique » des médecins et des professionnels s’étant éloignés des activités de soins, ainsi que l’emploi des plus de 50 ans ; il faut de même faire respecter partout la directive européenne sur le temps de travail, mais aussi développer les politiques de santé publique et… la médecine du travail en faveur des professionnels de santé eux-mêmes, tant physique que mentale.
• Protéger la liberté d’installation.
Pour les professionnels européens, il est hors de question de limiter la liberté de mouvement et d’installation, qui constitue un droit fondamental, même s’il peut parfois s’opposer à un autre droit : celui d’être soigné dans son pays. Les propositions extrêmes de certains pays, à l’image du Malawi, pays africain qui suggère que les diplômes de médecine ne donnent le droit d’exercer que dans le pays d’origine des médecins, sont totalement rejetées par la communauté médicale mondiale.
• Réactions en chaîne.
L’étude européenne porte aussi sur les conséquences pratiques des migrations de professionnels de santé, qui s’observent en chaîne dans tous les pays concernés. La Hongrie, par exemple, a vu « partir » 10 % de ses médecins, soit 3 000 praticiens, depuis son entrée dans l’Union européenne, a expliqué le Dr Miklos Szocska, médecin de santé publique à l’université Semmelweis de Budapest. Elle les remplace en attirant des médecins issus des minorités magyarophones de Slovaquie, de Roumanie et de Serbie, mais celles-ci manquent alors à leur tour de médecins. Pour cette raison, la Serbie doit par exemple « pomper » des médecins en Macédoine, pays plus pauvre qu’elle, et la Roumanie se tourne vers la Moldavie, pays roumanophone. En outre, poursuivait le Dr Szocska, la pénurie d’infirmières est telle que l’on ne peut pas, dans les hôpitaux, mettre les malades dans des chambres individuelles, car les malades doivent faute de personnel se surveiller et s’entre aider entre eux… La mobilité des infirmières, aggravée par le fait que certaines quittent le domaine de la santé pour d’autres activités, est en effet aussi préoccupante que celle des médecins. La Bulgarie a « perdu » 30 % de ses infirmières ces dernières années, et même le Royaume-Uni, lui-même autrefois grand « importateur », commence à manquer, car les infirmières britanniques ou exerçant là-bas partent actuellement massivement vers l’Australie.
• Gérer les déséquilibres.
Pour le Dr Michaël Wilks, président du Comité Permanent des Médecins européens (CPME), le problème se réglera lorsque « les médecins auront plus d’avantages à rester chez eux plutôt qu’à partir », même s’il est évident qu’il y aura toujours une certaine proportion de professionnels qui émigrera pour des raisons diverses. En attendant, les pays européens doivent apprendre à gérer ces déséquilibres et à mieux utiliser leurs ressources. « Je suis persuadé que la solution passe par le renforcement du travail en équipe, avec notamment la délégation à d’autres professions de santé d’actes et de tâches autrefois dévolus aux seuls médecins », dit-il. Infirmières cliniciennes ou prescriptrices pourront, selon lui, limiter les effets de la pénurie, tout en améliorant aussi leur propre statut. L’enquête de la Commission devrait être totalement achevée d’ici l’an prochain et faire l’objet, au second semestre 2010, de toute une série de propositions concrètes dans le cadre de la future présidence belge de l’Union européenne.
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