Supprimée en 2002 par Jean-François Mattei, ministre de la Santé, après une longue grève des médecins libéraux, l'obligation de garde s'apprête-t-elle à faire son retour ? Face à la progression des déserts médicaux, cette petite musique a commencé à monter depuis plusieurs années et encore plus pendant cette campagne présidentielle.
Après les appels à la fermeté d'élus ruraux et de parlementaires, c'est le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, qui a suggéré, lors de la conférence inaugurale du salon hospitalier Santexpo fin 2021, de rétablir l’obligation de participation à la PDS « dès janvier 2023 », afin de favoriser l'accès aux soins.
Cette idée de contrainte a ensuite été reprise, avec une sémantique variable, dans les programmes de plusieurs candidats à la présidentielle (Fabien Roussel, Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo). Emmanuel Macron compte de son côté rouvrir le débat sur la « mission » de PDS, sans pour autant parler d'obligation. Lors d'un déplacement sur la santé, mardi dernier, à Mulhouse, Emmanuel Macron a jugé que la fin de l'obligation de garde n'avait pas été « la meilleure idée du monde ». Dans ce contexte, la publication du nouvel état des lieux (2021) fragile de la permanence des soins par l'Ordre national des médecins est tombée à point nommé pour ceux qui réclament la remise en cause du principe du volontariat.
Couverture dégradée
De fait, en 2021, sur les 63 231 praticiens libéraux susceptibles de participer aux gardes, l'enquête en a dénombré 24 472, soit 38,5 %. Cet engagement est en baisse (-0,8 %) après une évolution légèrement favorable en 2019 puis 2020, en raison de la crise sanitaire (+ 0,5 %). Cette érosion se constate dans plus de la moitié des départements, avec une grande hétérogénéité : 6 % des médecins libéraux parisiens prennent des gardes contre 82 % de leurs confrères vosgiens.
Avec une démographie médicale en berne, les généralistes de ville – moins nombreux – ont dû couvrir des territoires de garde toujours plus vaste dessinés par les resectorisations, conduisant à une pénibilité accrue pour les volontaires. Ce n'est donc pas un hasard si l'Ordre souligne une dégradation de la couverture territoriale. Dans 20 % des secteurs, les généralistes étaient moins de cinq à se partager la tâche des tours de garde… Et passé minuit, en nuit profonde, il n'y a plus de médecins de garde du tout dans 35 départements, soit six de plus par rapport à 2020. Plusieurs départements déclarent craindre désormais « un désengagement prochain » les soirs de semaine (20 heures-minuit), comme c'est déjà le cas dans l'Orne et l'Oise.
Du coup, faute de volontaires en nombre suffisant, les préfets ont dû réquisitionner l'an passé dans 25 départements, contre seulement 15 en 2020. Dans cinq d'entre eux (Haute-Garonne, Eure-et-Loir, Charente, Gironde et Vosges), les réquisitions sont même « récurrentes ». « Il y a de vraies difficultés localement, reconnaît le Dr René-Pierre Labarrière, président de la commission PDS-A à l'Ordre. La situation est certes fragile mais il n'y a pas péril en la demeure ».
Dangereux
Si l'organisation de la permanence des soins est très délicate localement, ce bilan doit cependant être nuancé. Par exemple, le taux de généralistes volontaires ne saurait refléter, à lui seul, le bon ou mauvais fonctionnement de la PDS. « La situation peut être très satisfaisante au sein d’un territoire où le taux de participation est faible et inversement », précise le généraliste. À Paris par exemple, la « professionnalisation » de la PDS-A autour d’associations de type SOS conduit à « un taux de participation relativement faible sans pour autant que les tableaux de garde peinent à être complétés ». À l’inverse, dans quelques départements où le taux de mobilisation est élevé, des problématiques organisationnelles compliquent les tours de garde.
Il ne faut pas non plus noircir le tableau. Au total, la couverture des territoires reste élevée puisque 96 % des secteurs sont restés couverts les week-ends et jours fériés et 95 % en soirée de semaine (20 heures/minuit). « C'est le créneau de la soirée et du samedi matin qui sont les deux moments importants, reconnaît l'expert ordinal. Nous devons trouver des bonnes solutions pour soulager davantage les urgences. ».
À cet effet, l'Ordre appelle depuis des années à élargir les horaires de PDS-A au samedi matin (permettant des honoraires majorés) ou à mettre en place des dispositifs de transports des patients. « Il y a plein d'endroits où les médecins peuvent s'organiser pour assurer cette mission majeure de notre métier, ajoute le Dr René-Pierre Labarrière. C'est le cas sur mon territoire, où les médecins d'Annecy sont allés volontairement dans un secteur désertique à 35 km pour soulager les confrères ». L'élu estime en revanche que la fin du volontariat serait « dangereuse » et « contreproductive ». « Cela peut inciter les médecins à partir plus tôt à la retraite, dévisser leur plaque pour se lancer dans d'autres activités ».
Alléger le travail, augmenter les tarifs
Du côté des syndicats médicaux, l'hypothèse d'un retour des gardes obligatoires électrise les esprits. « Si on a du mal à trouver des effecteurs, il faut s'interroger plutôt sur le tarif proposé », avance le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Quant au désengagement croissant des généralistes en nuit profonde, il est relativisé en raison de la faiblesse de l'activité sur ce créneau. « Le problème est l'engorgement des urgences dans la journée et non pas la nuit, recadre le généraliste normand. Organisons mieux le service d'accès aux soins et faisons en sorte d'alléger le travail des médecins en journée. Alors, les médecins seront alors plus enclins à prendre des gardes en soirée. »
De son côté, le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, n'est pas surpris par ce tableau fragile de la PDS, au regard de la pénurie médicale. « Je suis même étonné que cela ne soit pas plus dégradé au vu de l'évolution de la démographie des généralistes depuis dix années, lance-t-il. Heureusement, il y a encore un nombre important de départements qui s'organisent pour assurer cette mission de service public ». C'est le cas de son département de la Mayenne où, malgré une baisse du nombre de médecins, « le taux de volontaires reste élevé grâce à une organisation et une rémunération très incitative ». CQFD ?
Pour la profession, la question de la PDS s'inscrit dans une problématique plus large d'attractivité de l'exercice libéral. Et pas question de laisser libre cours aux solutions les plus « simplistes » : en cas de remise en cause du volontariat, acquis de haute lutte au début des années 2000, les syndicats seraient prêts à se mobiliser. Comme il y a vingt ans.
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