Ici, pas de salle d'attente mais un café-accueil avec boissons chaudes en libre-service. Pas de cabinet attitré non plus. Les cinq médecins généralistes se partagent des salles de consultation baptisées en l'honneur du révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara, de la militante antiraciste Assa Traoré ou encore de la sociologue Christine Delphy. Bienvenue au centre de santé communautaire et autogéré d'Échirolles (Isère).
Le « Village 2 santé », bâtiment de plain-pied au toit blanc et aux murs en lambris, détonne au milieu des hautes barres d'immeubles. « Il y a quelque chose qui fait un peu cocon », s'enthousiasme Jérémy Petit, travailleur social. Au delà d'un centre de santé, le « village » se veut un lieu d'écoute, de convivialité et de partage au cœur de ce quartier populaire de la banlieue de Grenoble.
Lubrifiant social
« En plus de la médecine de premier recours, on veut faire du social de premier recours », explique cet éducateur spécialisé de formation. Sur les quelque 3 200 habitants que compte le quartier, le Village 2 santé en suit environ 2 000. Parmi eux, beaucoup de « gens bousillés par le travail », victimes de violence ou de discrimination et bien souvent en proie à la précarité.
Jérémy fait partie des deux « accompagnants en soin social » du centre, un métier qui n'existe qu'ici. Leur mission ? Aider les habitants dans leur accès aux soins (et aux droits) et fluidifier leur parcours dans un système de santé et de protection sociale parfois complexe voire inaccessible. « On sert de lubrifiant avec les institutions », résume en souriant le garçon de 36 ans.
Le Village 2 santé poursuit une logique de prise en charge globale des patients et de réduction des inégalités. « L'idée, c'est de démédicaliser certaines situations sociales », formule le Dr Jessica Guibert, généraliste de 32 ans. « Pour des personnes harcelées au travail, la seule réponse de certains médecins c'est la médicalisation à outrance avec la prescription d'anxiolytiques ou d'antidépresseurs, ça ne résout rien, estime le praticien, car on apporte une réponse médicale à un problème qui ne l'est pas ».
Le secret médical partagé, accepté par l'immense majorité des patients, permet aux 18 professionnels du centre un travail en équipe efficace. Des médecins au personnel d'accueil en passant par les kinés, l'infirmière ou les travailleurs sociaux : tous se réunissent une fois par semaine pour trouver collectivement des réponses aux situations les plus compliquées.
Égalité salariale
Au Village 2 santé, il n'y a pas de hiérarchie. Le fonctionnement du centre repose sur l'autogestion et l'égalité totale entre tous les salariés. À commencer par la rémunération : 1 800 euros net mensuels pour un temps plein de 35 heures. « De cette manière, tout le monde a la même place dans le soin », souligne le Dr Riwana Baudu, généraliste de 31 ans et dernière arrivée du centre.
Chaque semaine, un temps de réunion consacré à l'organisation interne est sacralisé. En plus de son travail, chacun est titulaire d'un ou plusieurs « mandats ». « Par exemple, il me revient d'écrire chaque mois la newsletter du centre », explique ainsi le Dr Baudu. Pour les tâches ménagères par contre, « on partage ! », s'amuse la Brestoise d'origine.
Aujourd'hui, les centres de santé communautaire se comptent sur les doigts de la main en France. Le plus vieux d'entre eux, la « Case de santé », est situé à Toulouse. Ici à Échirolles, le projet est né il y a huit ans dans la tête de cinq amis « qui se sont retrouvés autour de l'idée de faire différemment de la médecine de premier recours », se souvient le Dr Guibert.
Pendant quatre ans, ils ont pris le temps d'élaborer un projet de santé puis ont réalisé un diagnostic communautaire. « Nous voulions nous installer à un endroit qui avait vraiment besoin de nous », raconte la généraliste cofondatrice du projet. Le Village 2 santé ouvre enfin ses portes en 2016 dans des locaux provisoires avant de s'installer dans son nouvel écrin à la rentrée 2019.
Faire des choses révolutionnaires
Quatre ans plus tard, le « village » est victime de son succès. Il faut compter près d'un an d'attente pour les nouveaux patients qui désirent y être suivis. Pas question pour autant de recruter de nouveaux médecins, du moins pour le moment. « L'autogestion, ça fonctionne bien quand on n’est pas trop nombreux », avertit le Dr Guibert.
Côté finances, le modèle est à l'équilibre. Environ deux tiers des recettes proviennent des actes (tarifs opposables, tiers payant généralisé), le reste est issu de subventions. Si certaines sont accordées de droit par l'assurance-maladie, d'autres aides sont plus précaires et dépendant d'appels à projets lancés par l'agence régionale de santé (ARS) ou la municipalité. « On limite volontairement leur volume à 20 % de nos financements », explique le Dr Guibert. Qui se veut réaliste : « Si ça tient c'est parce qu'on ne se paye pas beaucoup ».
À partir de l'an prochain, le Village 2 santé expérimentera avec plusieurs autres structures d'exercice regroupé le paiement au forfait. Une démarche globale qui participe de la volonté des professionnels de faire évoluer la manière de voir le soin. Ici, on en est convaincu et Jérémy le résume : « Autour de la santé on peut faire des choses révolutionnaires ! ».
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