LA LOI DU 4 MARS 2002 qui édicte le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance », attend-elle le coup final comme le pressent Philippe Waquet, conseiller honoraire de la Cour de cassation ? « Le législateur a voulu mettre des barrières éthiques : on voit aujourd’hui que ça n’est pas aussi simple. La loi ne peut pas tout, surtout lorsqu’elle est le reflet d’une société divisée », souligne ce membre du comité national d’éthique. Entre ceux qui défendent un droit à l’avortement et ceux qui refusent l’idée que l’on puisse se plaindre de vivre, le fossé est large. Destinée à répondre à un tissu de problèmes, juridique, éthique, philosophique et financier (dû à la responsabilité médicale), la loi ne pouvait qu’être « maladroite » convient le haut magistrat. À peine était-il possible de la contester devant le Conseil constitutionnel qu’une plaignante, mère d’un enfant myopathe, l’a fait par le biais d’une « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC). En effet, tout justiciable peut, depuis le 1er mars, soutenir, à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ».
Demandes de réparation.
La mère de Loïc, atteint de la maladie de la myopathie de Duchenne, demandait réparation des préjudices ayant résulté de la naissance de son garçon, « à raison de l’erreur diagnostic » commise par l’équipe médicale. Comme le rappelle Philippe Waquet, ce n’est pas la première fois que la loi du 4 mars 2002 est écornée. En 2005, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France pour l’application rétroactive de la loi élaborée suite à l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000, lequel consacrait le droit pour l’enfant né handicapé d’être indemnisé de son propre préjudice. Elle reprochait également à l’État français de ne pas avoir tenu son engagement de prendre en charge le coût lié à une naissance handicapée. Car selon la loi de 2002, le coût des soins aux handicapés devait relever de la solidarité nationale : « Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ». La saisine du Conseil constitutionnel concerne donc notamment la question de la conformité d’un droit restreint à indemnisation contraire au principe général de responsabilité inscrit dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme.
Deux autres affaires judiciaires viennent également jeter le trouble. D’une part, le tribunal administratif de Nantes, le 7 avril, a condamné le CHU de la ville à verser une indemnisation de 51 000 euros aux parents d’un enfant né trisomique en 1994, au motif que les médecins n’avaient pas proposé d’amniocentèse à la mère durant sa grossesse alors que les examens sanguins étaient contradictoires. L’hôpital de Nantes doit également verser 60 euros par nuit passée par l’enfant au domicile familial, depuis sa naissance et « tout au long de sa vie ». D’autre part, un gynécologue de Nancy a été condamné, ce mois-ci, par la Cour d’appel à 15 000 euros de dommage moral pour avoir fait perdre à sa patiente une « chance d’interrompre sa grossesse » faute d’information. Âgée de 32 ans, celle-ci avait accouché en en 2003 d’un enfant très lourdement handicapé après avoir fait plusieurs fausses couches. Or, selon son avocat Me Gérard Michel, « ces fausses couches révèlent souvent une anomalie génétique ». « Lorsqu’on a des suspicions, le gynécologue doit prescrire un caryotype », a-t-il poursuivi. Le gynécologue, qui avait conseillé cet examen avant la grossesse, l’avait toutefois estimé inutile après la conception de l’enfant, « considérant qu’il n’y avait alors plus de problème », selon l’avocat. En 2007, le tribunal de grande instance de Nancy avait refusé d’indemniser la mère de l’enfant, « arguant que l’on ne peut se prévaloir d’un préjudice du fait de la naissance », explique Me Michel. « Mais le préjudice de la mère, lui, existe », estime-t-il en ajoutant : « On avait le droit à l’avortement ; maintenant, on a le droit à l’indemnisation quand on ne peut avorter ».
Pas là pour tuer les handicapés.
Pour le Pr Jacques Lansac, du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF), il est certain que « les médecins ne sont pas à l’abri des fautes » mais aucun d’entre eux, quelle que soit sa qualité, ne peut « certifier qu’un enfant sera normal » : « on ne peut pas leur tenir rigueur de tout ! ». « Nous faisons en sorte que la grossesse et l’accouchement se passent bien mais ce n’est pas nous qui faisons l’enfant » tempère-t-il en évoquant le malaise de certains de ces collègues, malheureux d’avoir à « faire le ménage parmi tous ces enfants. Nous ne sommes pas là pour tuer tous les handicapés ». Dans un sens, estime-t-il, « la loi de 2002 nous rend service. Je pense qu’il y a un problème de responsabilité individuelle. Il faut savoir prendre des risques dans la vie et même si des progrès ont été réalisés, on n’est jamais sûr à cent pour cent » d’avoir l’enfant rêvé. À la question de savoir si la loi du 4 mars 2002 est inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel a jusqu’au 15 juillet pour répondre.
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