Le nombre de médecins recule inexorablement à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) malgré les initiatives pour inverser la tendance. Mais le manque de communication entre les praticiens et parfois de confraternité compliquent le combat contre la désertification.
« Nous sommes au bord de la catastrophe, s’insurge le Dr Francis Cazeils. Nous étions 23 généralistes pour 30 000 habitants, dans deux ans, avec les départs à la retraite, il n’en restera que douze. »
À 66 ans, Francis Cazeils aimerait prendre sa retraite mais il est toujours là. « Je continue pour ne pas laisser tomber mes patients désemparés et pour ma ville », explique-t-il. Le généraliste souhaiterait trouver un remplaçant pour faire vivre le petit immeuble médical dans lequel il a investi.
Depuis des années, il multiplie les initiatives pour inverser la courbe de la déclinante démographie médicale villeneuvoise : mails, pétitions, réunions, association pour favoriser les échanges entre les professionnels de santé, entre les soignants et les soignés, entre la ville et l'hôpital... Mais sans succès.
La situation est pourtant très sérieuse. Quinze des 22 généralistes villeneuvois inscrits à l’Ordre ont plus de 60 ans ! « En Lot-et-Garonne, nous sommes partout au bord de la catastrophe », explique le Dr Michel Durenque président du conseil de l’Ordre du département. Nous travaillons depuis 2006 sur ce dossier. Récemment, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour rechercher des maîtres de stages ; cela ne fait pas tout, mais c’est important. Je vais à la rencontre des internes de nos trois hôpitaux pour recruter. » Avec le conseil départemental, l'Ordre de Lot-et-Garonne doit prochainement mettre en place un site Internet regroupant offres de postes, demandes de remplacement, collaborations, installations, comme cela se fait en Aveyron.
L'individualisme en question
La pénurie touche aussi les spécialistes. Le dernier cardiologue de ville va prendre sa retraite et ses trois confrères de l’hôpital sont déjà submergés.
Pourtant, à Villeneuve, chacun a sa solution. Francis Cazeils souhaiterait que l’État soit plus autoritaire « qui doit faire son boulot et imposer l’installation dans des zones sous-médicalisées. Mais il n’ose pas et cela revient à nous dire : mourrez en silence ! »
Pour le Dr Sylvaine Dumas-Colas, le problème est ailleurs : dans l’individualisme des praticiens locaux. Après une carrière de généraliste en région parisienne, elle décide en 2010 de revenir dans son Lot-et-Garonne natal.
L’accueil est plutôt froid et elle découvre les spécificités locales : « Le 15 qui ne fonctionne qu’après 20h, les gardes obligatoires, l’absence de communication avec les confrères et le pôle hospitalier… Je suis informée du décès de mes patients par la famille, avant l’hôpital… les comptes rendus d’hospitalisation arrivent avec 3 semaines de retard… j’appelle pendant trois jours un gérontologue pour avoir des nouvelles d’un patient, sans jamais obtenir de réponse… » Un spécialiste lui raccroche au nez. Pire, un autre l’insulte* ! « Laxisme ou manque de conscience professionnelle, on ne travaille pas dans de bonnes conditions, explique-t-elle. Comment voulez-vous qu’un jeune médecin ait envie de s’installer ici ? Dix fois j’ai pensé faire ma valise, mais je suis restée parce que c’est ma région, mais un jeune… »
Manque de communication
Quand on lui parle manque de communication, Michel Durenque sourit : « C’est un euphémisme ! À l’ouverture du nouveau pôle de santé du Villeneuvois** (fin 2014), tous les numéros de téléphone ont changé. Six mois après, aucun généraliste ne les avait. La mayonnaise de ce pôle public-privé n’a pas pris, des médecins de qualité sont partis... mais je pense que la situation va se régulariser peu à peu, avec l’arrivée de nouveaux praticiens. »
Même la maison de santé pluridisciplinaire (MSP des Haras), ouverte en 2015, vit des soubresauts... Une MSP que certains généralistes accusent de concurrence déloyale, ce qui fait bondir Michel Durenque : « il faut savoir ce que l’on veut, on ne peut pas se plaindre d’être surbooké et refuser l’arrivée de nouveaux praticiens ! »
Après une carrière en clinique mutualiste et en centres de transfusion (Bordeaux, Agen) le Dr Cécile Drugeon a récemment décidé de s’installer dans le département. Elle rencontre le généraliste d’un bourg du Villeneuvois pour un stage : « Il a commencé par me dire que les stagiaires étaient nuls, à pester contre la Sécu, les génériques, les logiciels, se souvient-elle. Bref, un médecin ronchon qui avait l’impression que j’allais lui piquer son job, alors qu’il était près de la retraite ! »
Elle s’installe finalement à la MSP des Haras où elle découvre les journées épuisantes avec 15 à 18 consultations, les difficultés de paiement des patients, les problèmes informatiques et « le manque de communication avec le pôle hospitalier où public privé ne se mélangent pas. Mais, nous sommes dans la ville de Jérôme Cahuzac… », ironise-t-elle.
Faut-il y voir une malédiction, une explication de l’ambiance délétère qui règne dans le monde médical ou la simple habitude de regarder ailleurs quand on parle désertification médicale ?
« La prise de conscience se fait, veut pourtant croire Michel Durenque. Face aux difficultés qui augmentent, les comportements commencent à évoluer. » Mieux vaut tard…
* Elle obtiendra de lui des excuses publiques devant le conseil de l’Ordre
** Nouvel ensemble hospitalier regroupant hôpital public et clinique privée
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