Les médecins n’apprécient guère les systèmes de notation par les patients sur Internet. Une thèse en médecine générale, publiée le 15 octobre dernier, le confirme un peu plus. Les travaux menés par le Dr Axelle Durocher livrent de nombreux enseignements sur les ressentiments de ses confrères à l’égard des avis publiés sur Google par leurs patients. Ils rejettent globalement ce système qu’ils trouvent injuste, illégitime et vis-à-vis duquel ils se sentent démunis.
La jeune femme a interrogé 15 généralistes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, 6 femmes et 9 hommes, âgés de 31 à 66 ans (moyenne d’âge de 44 ans, contre 50 ans au niveau national), tous installés à l’exception d’un remplaçant. La retranscription intégrale de ces entretiens est riche d’enseignements.
Que mes pairs me jugent… mais qu’un patient me juge…
Pour quelles conclusions ? Tout d’abord que l’opposition à la notation sur Internet est quasi unanime. Les praticiens interrogés sont pourtant relativement épargnés par les mauvais avis. La note moyenne qui leur a été attribuée sur Google atteint 3,8/5 (la plus basse étant de 2,5/5) et seulement 6 d’entre eux ont reçu un ou plusieurs avis négatifs (sur 6 à 15 commentaires au total).
« Quelles sont ses capacités médicales pour m'évaluer à ce niveau-là ? ». « Que mes pairs me jugent je suis d’accord. Qu’un professeur de médecine ou un confrère me juge… Mais qu’un patient me juge… », s’interrogent les praticiens qui remettent en cause (treize participants sur quinze) la pertinence de l'évaluation par les patients sur Internet. Et lorsqu’ils acceptent d’être jugés par leurs malades, c’est avant tout sur des critères qui ne sont pas médicaux : qualité de l’accueil et des locaux, délai d’attente,… « Moi, je pense que les patients ne vont pas évaluer sur un plan médical, c’est surtout le contact », estiment l’un d’eux.
Réactions brutales et intempestives
Globalement, les médecins se disent détachés de ces avis. « Ils ne souhaitaient pas être influencés dans leur pratique médicale », remarque le Dr Durocher. « Vous ne faites pas cette profession pour avoir des "likes" », ironise un généraliste interrogé. Ce qui ne les empêche pas d’apprécier les commentaires lorsqu’ils sont positifs. Un médecin évoque ainsi la satisfaction personnelle de se dire : « Tiens, il y a eu un ressenti du patient comme un travail bien effectué. »
Mais ils relativisent, sachant que cela peut vite tourner dans l’autre sens.
« Les avis négatifs sont quasiment toujours pourvoyeurs d’émotions négatives, notamment l’injustice », détaille le Dr Durocher dans sa thèse. Ces commentaires défavorables sont « mal vécus », perçus « comme malveillants, rédigés dans l'intention de leur nuire plutôt que d’améliorer les soins ». Ils les considèrent « comme des réactions brutales et impulsives de patients frustrés ou insatisfaits ». « J’ai ressenti ça comme une atteinte et quelque chose d’injuste, de mesquin, de faux en plus et de comment dire… Comme quelque chose de bas », écrit l'un d'eux.
Des médecins impuissants
Face à ces attaques, les médecins se sentent généralement démunis. Peu d’entre eux y répondent. D’abord parce que ces commentaires sont souvent publiés de manière anonyme. Difficile de se justifier vis-à-vis d’un patient non identifié, de savoir s’il s’agit réellement d’un membre de la patientèle, d’une personne qui aurait pu chercher à leur nuire… Ensuite parce que les médecins redoutent de se mettre à la faute en violant le secret médical s’ils évoquent les détails du colloque singulier. La crainte d’entretenir la polémique ou de cautionner, en répondant, un système qu’ils rejettent les poussent également à la prudence.
Reste une voix radicale : celle qui consiste à demander à la plate-forme numérique de supprimer les commentaires litigieux. Là encore, les médecins se sentent impuissants. Il leur faut déjà prouver le caractère illicite des commentaires. « Ces démarches étaient toujours décrites par les médecins comme chronophages, difficiles et peu concluantes », constate le Dr Durocher.
L’Ordre est souvent invoqué par les personnes interrogées comme un potentiel régulateur. À ce titre, le Dr Durocher rappelle que le Conseil national de l’Ordre des médecins a publié un guide complet, doublé d’une aide en ligne, pour aider les praticiens à gérer les avis sur Internet.
Car ces systèmes de notation en ligne ne sont pas près de disparaître. Les médecins interrogés en ont conscience et ils appellent à plus d’encadrement, à plus d’équité. Suppression de l’anonymat, questionnaire encadré plutôt que libre expression, retrait des commentaires après un certain temps, médiation avant publication… Les suggestions sont nombreuses. Pas sûr que Google et consorts soient prêts à les mettre en œuvre.
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