› Un médecin, une vie
LE DR GUY ARCIZET est tombé dans la marmite maçonnique au tout début de sa carrière médicale. À 71 ans, son élection comme Grand Maître du Grand Orient de France (GODF), la loge la plus importante en nombre, apparaît comme la consécration de 40 ans passés dans la maison, en concomitance avec ses 40 années de médecine générale à Bagnolet (93).
Le grand maître vient d’une famille de médecins. Le père est dentiste, les frères médecins, les cousins aussi. À 18 ans, il débarque en France, laissant son Maroc natal derrière lui. Il s’était jusque-là toujours trouvé du bon côté de la barrière, convient-il d’emblée. « Je n’ai jamais pénétré les milieux musulmans », regrette-t-il aussi. Ce n’est qu’à partir de ses premiers remplacements à Bagnolet qu’il est confronté à « un problème social qui a fondé son "identité sociale" ». « J’ai commencé à comprendre qu’on pouvait être pauvre, exclu. » Né d’un père catholique et d’une mère juive, il ne prend conscience de la mixité sociale qu’à ce moment-là. « Un certain nombre de questions douloureuses me sont apparues. »
Il aborde alors son activité professionnelle avec une certaine candeur politique, fondant d’abord un cabinet de groupe, « dans une vision quasi collectiviste ». « L’idée était de partager les honoraires, mais nous avons vite été rattrapés par la pratique. » Il lance ensuite des comités d’usagers IVG dans son quartier.
Il se considère comme un témoin du passage de la médecine paternaliste, avec « des chefs de service qui tutoient leurs patients et leur tapent sur l’épaule et des infirmières qui, face à des opérations sans anesthésie estiment que "Ça lui apprendra » (au patient) », à une médecine très technique. Il décide alors de se mêler à des groupes Balint*.
Face à la douleur.
Dans le même temps, l’un de ses frères, âgé de 27 ans, meurt d’un cancer, après six mois de souffrance. Ce drame et « la douleur face à la douleur » le poussent un peu plus encore à s’engager dans une réflexion philosophique. Il lit beaucoup, Teilhard de Chardin entre autres.
En 1986, il s’initie alors à la franc-maçonnerie. Ses parents reçoivent la nouvelle avec scepticisme. « Très conventionnels, ils sont restés très méfiants. » Il explique comment son engagement personnel, de par son expérience médicale dans la banlieue, l’a mené vers un engagement politique (il ne cache pas son appartenance au parti socialiste, sans non plus le revendiquer), pour lequel il a finalement préféré l’engagement maçonnique, qui est pour lui à la fois spirituel, philosophique et social. C’est un patient qui l’y a invité, il lui a dit : « Avec votre façon de penser, vous devriez venir chez nous. »
Plus de 40 ans de maison, officiant dernièrement au poste de grand secrétaire aux Affaires intérieures du GODF, il accède désormais à la plus haute responsabilité. « Je ne me fais pas d’illusions, car je connais mes limites », assure-t-il, tout en assumant pourtant la contradiction de s’être « battu pour ce poste ».
Il veut bien reconnaître également une certaine influence du compas sur les blouses blanches. « Mon engagement sociétal actuel s’adresse également, dit-il, à la médecine. » Le Grand Orient a par exemple créé en son sein une commission nationale de santé publique et de bioéthique, reconnue par l’UNESCO souligne le Grand Maître, qui a vocation à insuffler des idées dans le débat public autour du don d’ovocytes, de la gestation pour autrui, de l’euthanasie et d’autres questions « qui sont peu évoquées en médecine ». Comme « penser le devenir des malades chroniques et des transplantations d’organes ». Cette commission a la « double tâche d’aller de l’extérieur (le monde profane) vers l’intérieur (notre obédience) », décrit un document du GODF.
Maçons de père en fils(-le) ?
Le Dr Arcizet assure qu’il a appris seulement récemment, presque par hasard, que son propre grand-père maternel, ainsi que ses quatre frères, avaient été francs-maçons. Pourtant, pour sa fille, le Dr Geneviève Arcizet, il y a clairement une « démarche familiale derrière cet engagement ». Elle, qui a repris le flambeau de son père en tenant à son tour un cabinet de médecine générale dans la même banlieue, n’est pour l’instant pas tentée par une initiation maçonnique, ni dans l’obédience féminine, ni même au Grand Orient, qui vient de voter son ouverture aux femmes. Peut-être plus tard cependant, lorsque sa « tête sera plus libre ». Son refus est surtout motivé par un agenda bien chargé.
Avant de prendre sa retraite il y a cinq ans, son père a d’ailleurs dû en avoir un bien rempli, lui aussi, cumulant les journées de travail puis les réunions au Grand Orient, deux soirs par mois. Et pourtant, elle « s’en rend plus compte maintenant », sourit sa fille, depuis qu’il occupe ses hautes fonctions dans l’obédience, il est presque encore moins disponible. En attendant, elle se réjouit pour lui qui, ainsi, sait-elle, « se réalise ». Elle s’est surtout aperçue que tous deux semblent « fonctionner de la même façon » dans leur exercice professionnel. « Nous avons en commun le même contact, nous nous donnons sans attendre en retour. » Son père, lui, se décrit comme ayant été l’« avocat » de ses patients.
* Animés par des psychanalystes, ces groupes de travail, inventés par Mickael Balint, visent à apporter aux médecins (puis aux assistants sociaux) des compétences psychothérapeutiques.
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