Après six semaines de crise sanitaire, le Dr Pierre-Henry Juan, président de SOS Médecins, met en avant la faculté d'adaptation de ses 63 associations locales. Il se félicite de la mobilisation « en première ligne » des 1 300 praticiens de SOS, malgré un manque « inadmissible » de protections et de moyens en ville et un « flou complet » dans certaines consignes officielles.
LE QUOTIDIEN : La crise sanitaire a-t-elle un impact sur le fonctionnement des centres SOS Médecins ?
Dr PIERRE-HENRY JUAN : Oui, elle a eu un impact et en même temps elle n'a pas changé grand-chose. En temps normal, nos centres sont déjà pensés pour les soins non-programmés. Ils sont structurés avec le Centre 15 et fonctionnent avec des logiciels adaptés qui permettent des remontées de données épidémiologiques.
En cas de crise, nous n'avons qu'à nous mettre à niveau de la volumétrie des demandes. Lors des appels, nous avons ainsi adapté nos questionnaires au contexte du Covid-19, mais aussi nos connaissances sur la maladie au fil des jours, ainsi que notre attitude en consultation avec les patients, en visite à domicile ou en EHPAD (changement de tenue avant et après, désinfection du matériel, des mains, port du masque) pour les sécuriser.
En fonction des territoires, nous avons aussi créé des centres ou des consultations Covid-19, ou encore pris part à des centres dédiés existants. Des téléconsultations ont été mises en place. Cette crise met en avant l'agilité et la réactivité de notre modèle.
En termes d'activité, qu'est-ce que cela représente ?
En tout, nous comptabilisons déjà 33 000 actes liés au Covid sur l'ensemble de nos structures. La téléconsultation représente 20 à 40 % de notre activité mais cela dépend des structures et donc des besoins locaux. Certaines associations ont pris le parti de recontacter les patients Covid à J+7 ou J +8, lorsque les symptômes peuvent potentiellement s'aggraver.
Sur l'activité de SOS Médecins, nous observons la même courbe descendante que dans les cabinets de ville en termes de consultations. Il risque d'ailleurs d'y avoir un "effet rebond" sur des pathologies chroniques comme le diabète ou l'insuffisance cardiaque, mais aussi sur des pathologies psychiatriques puisque certaines personnes n'ont plus leur suivi habituel en centre médico-psychologique.
Les visites à domicile, elles, sont restées stables. Il y a beaucoup de Covid mais nous continuons aussi à voir les pathologies habituelles. Elles sont juste plus chronophages, même si nous perdons moins de temps à nous déplacer sans les embouteillages !
D'ailleurs, en cette période de crise sanitaire, la visite à domicile démontre toute son utilité pour lever les doutes sur des suspicions de pathologie – que ce soit le Covid ou non, via un examen clinique. En cas de douleur thoracique, c'est quand même mieux de pouvoir faire une échographie que de passer par une téléconsultation.
Quelles premières leçons faut-il tirer de cette crise ?
Tout d'abord, il y a eu un vrai défaut de moyens en ville qui est inadmissible et incompréhensible. Nous avons dû nous appuyer sur des stocks de masques périmés, et sur l'élan de générosité et de bienveillance des mairies, collèges et entreprises privées, qui ont donné ce qui leur restait des crises passées comme le H1N1. Les surblouses et les gants sont arrivés ensuite... La leçon c'est que l'État doit constituer des stocks qu'il renouvelle car ces épisodes sont amenés à se reproduire.
De manière plus générale, la prise de décisions et leur hiérarchisation doivent être repensées. Il y a eu beaucoup de grains de sable et même un flou artistique complet. Certaines agences régionales de santé ont assuré des rendez-vous quotidiens avec les acteurs de terrain. D'autres ont été injoignables pendant plusieurs jours !
Cette crise illustre aussi le fait qu'un numéro unique de régulation des appels n'est pas la bonne solution. On a déployé des moyens colossaux pour les Centres 15, qui ont été submergés par un énorme flux d'appels avec des temps d'attente atteignant 40 minutes voire une heure.
Enfin, on a aussi mis d'énormes moyens sur les téléconsultations et annoncé leur prise en charge à 100 %, mais quid de la visite à domicile ? Son rôle est primordial en temps de crise mais elle n'est toujours pas revalorisée et reste à 35 euros en journée de semaine. Il y a une disproportion de considérations.
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique