Alors qu'il était installé aux alentours de Chambéry, Jean-Philippe Cohen Bacry a troqué avec bonheur 21 années d’exercice en solo comme généraliste, contre un poste en équipe, au sein d’un CLSC (Centre Local de Soins Communautaire) au fin fond de la Mauricie. Si lui-même et ses enfants ont acquis la double nationalité, son épouse franco-américaine est désormais citoyenne de trois pays.
Né à Lille en 1961 de parents opticiens qui voyaient volontiers leur fils « ophtalmo », Jean-Philippe Cohen-Bacry entame des études de médecine à Grenoble. En 1991, Il s’installe dans son propre cabinet à La Motte - Servolex, près de Chambéry. En 2012, le médecin généraliste laisse tout tomber pour émigrer au Canada. Cette décision n’est pas prise au débotté car l’idée de quitter la France taraude le médecin et sa famille depuis 2005.
Marre de la routine et de la Sécu
« En 2005, j’en ai eu marre de cette routine épuisante. » La lassitude exprimée par le praticien fait suite au constat d'une « lente dégradation de l’exercice et du système médical en France ». Avec 12 à 14 heures de travail quotidien, il avait le sentiment « de devenir un prestataire de services pour une Sécu oppressante ». Larguer les amarres ? La piste états-unienne, envisagée par le Dr Cohen Bacry dont l'épouse est américano-française, est vite écartée en raison des difficultés administratives. Il aurait fallu reprendre à zéro pour obtenir un diplôme américain. Impossible à l'approche de la cinquantaine.
Et c’est une cousine qui apportera la clef au projet familial. Elle leur apprendra que la province francophone du Canada manque de main-d’œuvre médicale. De fait, en 2009 « l’Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) » est signé avec la France et facilite le recrutement de médecins français. Le Dr Jean-Philippe Cohen-Bacry sera l’un des 50 premiers bénéficiaires.
Le permis de résidence, une longue étape
Pas si simple pourtant. Malgré l’ARM, qui reconnaît théoriquement l’équivalence des diplômes médicaux français au Québec, l’obtention du permis de résidence reste une étape administrative relativement longue. Quant à l’autorisation d’installation, elle est attribuée selon les besoins locaux. Par chance, la médecine générale et la psychiatrie sont des disciplines recherchées au Québec.
Tout n’est pas gagné pour autant ! Le candidat à l'exercice médical au Canada doit être évalué lors d'un stage de trois semaines et exercer pendant un an, au sein d’un établissement de santé. Outre l’expérience des - 40° en hiver, le Dr Cohen-Bacry se souvient du stage d’évaluation à l’hôpital d’Alma (sur la rive nord du Saint Laurent).
Finalement, l’omnipraticien obtient un permis restrictif qui autorise l’exercice en établissement mais exclut l’installation en cabinet privé. Il vend sa maison en France et rejoint (sur les instances d’un confrère et compatriote déjà en place et rencontré via les réseaux sociaux) le Centre Local de Soins Communautaire à Saint Tite. Ce petit village rural situé au nord de Trois Rivières, à plus d’une heure et demie de Montréal et de Québec doit sa réputation au grand festival de rodéo, précise le jovial médecin.
La Régie de l’Assurance Maladie du Québec paie les médecins
Jean-Philippe Bacry apprécie sa nouvelle vie professionnelle et la petite équipe de six médecins dont quatre sont français ! Le système médical québécois essentiellement fonctionnarisé est fort bien rémunéré. C’est la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (la RAMQ) qui paie les honoraires des médecins. Le mode de tarification prend en compte et le temps de travail horaire et l’acte pratiqué. « Il n’y a pas, comme en France, une gestion comptable du temps, et la qualité des soins est là. »
Au ton à la fois posé et enjoué du praticien, il ne fait aucun doute qu'il a gagné au change. Depuis 6 ans qu'il a quitté son pays d'origine, le Dr Cohen-Bacry ne ressent pas du tout le mal du pays. Et s'il admet qu'il « regrette la géographie, les amis et certains patients avec lesquels [il a] maintenu le contact », il sait qu’il ne reviendra plus dans son pays natal. C’est d'autant plus facile de quitter la France concède-t-il « que presque tous les membres de famille sont établis partout dans le monde et qu'il faut d'abord choisir le pays avant d'organiser une fête familiale ». Jean-Philippe Cohen-Bacry n’exclut pas de repartir ailleurs, mais plus tard. Et pour lui, en tout état de cause, la France, c’est fini !
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