Une étude de la DREES (1), fondée sur des entretiens longs et détaillés auprès de 48 praticiens libéraux (21 généralistes et 27 spécialistes), dissèque l’emploi du temps des médecins et précise leur ressenti. État des lieux.
• Semaines chargées mais variables
C’est un fait : les médecins libéraux travaillent beaucoup. Si les 48 praticiens interrogés déclarent exercer entre 24 et 70 heures par semaine (du simple au triple), la moyenne du temps de travail hebdomadaire est sensiblement au-dessus des 50 heures. Sur une année, la charge de travail s’échelonne entre 1 100 et 3 500 heures. Des chiffres, précise l’étude, « au-dessus des standards » d’un cadre d’état-major d’entreprise (2 130 heures), d’un cadre (1 870 heures par an) et d’un médecin hospitalier (2 180 heures). L’étude établit une distinction entre les médecins femmes et leurs homologues masculins. Elle note « un effet de genre » avec des semaines de travail moins intenses pour les femmes médecins qui indiquent prendre davantage de vacances que leurs confrères.
• Lundi noir
Presque tous les médecins interrogés ouvrent leur cabinet le lundi et le vendredi. Le lundi est un jour particulièrement chargé « en raison des urgences du week-end ». Près d’un praticien sur deux travaille le samedi matin, soit toutes les semaines, soit une semaine sur deux. L’ouverture des cabinets le dimanche reste exceptionnelle. Les médecins ferment en revanche davantage leur cabinet le mercredi ou des demi-journées les mardis et jeudis.
• Journées qui s’éternisent
Les journées de travail durent entre 10 et 12 heures. Elles commencent le plus souvent entre 8 et 9 heures et généralement plus tôt pour les généralistes que pour les spécialistes. De nombreux praticiens prennent en consultation leurs derniers patients après 20 heures. La fin de journée est souvent la période la plus chargée. C’est aussi le moment choisi par les praticiens pour organiser les consultations sans rendez-vous. À 20 heures, les journées de travail ne sont pas forcément finies pour autant. Le praticien profite parfois de sa soirée… pour suivre une séance de formation continue ou un groupe de travail. La durée du temps de travail varie sensiblement en fonction de divers aléas. C’est le cas lors des épidémies saisonnières ou de la poursuite d’activité d’un praticien pendant les vacances d’un associé ou d’un confrère voisin.
• Cinq à six semaines de congés par an
Les médecins libéraux ne sont pas les premiers à bénéficier des week-ends prolongés, ponts ou congés exceptionnels qui « semblent rares », observe la DREES. Les praticiens prennent davantage leurs vacances sous la forme de « semaines entières très concentrées sur la période estivale », plus précisément en août. En moyenne, les médecins de ville prennent 5 à 6 semaines de vacances par an.
• Gestion de la consultation : casse-tête généraliste
Les pratiques en matière de prise de rendez-vous sont très diverses. En ce qui concerne les généralistes, la consultation libre « fait peser sur le praticien un aléa de charge important », résume l’enquête, qui évoque « une pression de la salle d’attente » et même des « tensions ». Pour certains praticiens, cette situation est source de stress, d’autres « y sont assez différents ». A l’inverse, la prise de rendez-vous est un mode de régulation de la charge de travail. La gestion de l’agenda est variable. « Les médecins font le choix d’être ponctuels ou pas ». Difficile de tirer des enseignements dès lors que « chaque praticien entretient avec les horaires un rapport particulier ». D’une façon générale, l’étude distingue les spécialités « peu exposées aux aléas », pour lesquelles l’agenda est tenu sans difficulté, et les généralistes pour lequel le défi est « particulièrement ambitieux ». Quant aux consultations en urgences, même si les médecins prévoient des plages libres dans l’agenda, elles restent un motif de « retards » et de « journées à rallonge »
• Secrétariat, informatique : fortes disparités
L’étude met en lumière les inégales ressources d’organisation et d’appui du praticien en matière de secrétariat et d’usage de l’informatique. Sur 48 praticiens interrogés, seuls quatre n’ont pas de secrétariat du tout, ils sont plus nombreux à avoir recours à un secrétariat à distance. « Dans quelques rares cas, note l’étude , c’est l’épouse qui fait la régulation, ce schéma étant appelé à disparaître ». En revanche, les secrétariats sont « très fréquents » dans les cabinets de groupe. De la même façon, pointe l’étude, la mise à jour du dossier médical « relève de pratiques extrêmement peu normées ». L’enquête insiste sur le critère générationnel. « L’informatisation du dossier est une évidence pour les jeunes praticiens, alors qu’elle résulte d’un choix raisonné de changement de pratique pour les plus âgés ». Dans la même veine, l’étude montre que les fonctionnalités de l’informatique du cabinet sont diversement développées selon les médecins, conditionnant le temps passé à intégrer diverses informations (examens, lettres de confrères, bilans…).
In fine, avance l’étude, « les praticiens construisent des fonctions de secrétariat avec des moyens humains et techniques très variés », aboutissant une organisation tantôt maîtrisée tantôt subie.
• Charges administratives : organisation déterminante
Le grignotage du temps médical par les charges administratives est régulièrement cité au rang des préoccupations majeures des médecins libéraux. L’étude précise que le label « travail administratif » recouvre trois composantes : un volet médical (lecture des résultats d’examens, courriers aux confrères…) ; un volet strictement administratif que les médecins qualifient de paperasse (essentiellement tout ce qui concerne les relations avec la Sécurité sociale, télétransmissions, bons de transport, ALD…) ; enfin la gestion propre du cabinet et en premier lieu la comptabilité. Là encore, les médecins gèrent ces tâches de façon différente. Certains « traitent tout au fil de l’eau », d’autres renvoient cette activité en soirée, ou réservent une demi-journée fixe dans l’agenda, ou font les choses « dans les marges », le week-end, ou à la maison… L’étude tranche : le mode de traitement « en anticipation, au fil de l’eau ou en rattrapage influe beaucoup sur la perception que les médecins ont de cette charge administrative ».
•Travailler plus…pour faire plus de médecine
Davantage que le volume d’heures passées à consulter, l’étude avance l’hypothèse que la perception de la charge de travail dépend en partie de la diversité des activités du médecin. Déjeuner d’équipes, soirées de FMC, implication dans un réseau ou une démarche qualité… : ces activités changeantes, qui s’ajoutent au temps de consultation, sont décrites comme salutaires par les médecins eux-mêmes. Elles « allègent la charge subjective en participant à un certain réenchantement de la pratique », ose l’étude. Avec cette conclusion en forme de paradoxe : la suractivité « produit des respirations ».
(1) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. « Emploi du temps des médecins libéraux », n°15, 2010.
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