Copie à revoir. Cinq médecins généralistes exerçant en zone sous dense entre Belfort et la Haute-Saône, ont ouvert leur porte au « Quotidien » pour présenter leurs doléances à quelques jours de l'élection présidentielle. Selon eux, les propositions santé des candidats (voir pages 2 et 3) ne reflètent pas leurs besoins, ni la réalité du terrain.
Le Dr Emmanuelle Thomas, généraliste de 38 ans, a posé ses valises en 2012 au Glacis-du-Château, un quartier prioritaire de Belfort d'environ 3 000 habitants. Dans son cabinet libéral, partagé avec une autre généraliste, huit patients sur dix bénéficient de la couverture maladie universelle (CMU). « Le cabinet a une activité croissante, je vois entre 30 et 50 personnes par jour, nous sommes surchargées. J'attends des candidats une reconnaissance et une valorisation de notre travail », témoigne-t-elle. La généraliste reste « très motivée » mais estime que « les moyens mis sur la table ne sont pas à la hauteur ». Selon elle, la création d'une rémunération basée sur le temps d'échanges et de coordination des soins serait pertinente.
Le leurre des maisons de santé
À quelques kilomètres de là, dans le village de Menoncourt (territoire de Belfort), au bord de la départementale 83, la maison de santé « Les Errues », flambant neuve, accueille les patients depuis 2015. Dix professionnels de santé dont cinq généralistes y répondent aux besoins de la population. Et premier constat, la maison de santé dont le déploiement est plébiscité par tous les candidats ne fait pas l'unanimité. « Elle n'est pas une réponse à tous les déserts médicaux, affirme le Dr Pierre Bobey, l'un des généralistes de la structure. Il faut avoir des notions d'équipe, organiser les plannings et surtout certaines réunions qui ne sont pas consacrées au patient mais au partage des charges… Et les coûts peuvent être lourds ». Ici, le loyer mensuel s'élève à environ 1 000 euros par praticien et les frais de personnel (tâches ménagères, secrétariat) entre 800 et 1 000 euros par médecin et par mois.
Des candidats « hors sol »
À 70 km de là, à Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), le Dr Martial Olivier-Koehret, généraliste et ancien président de MG France estime que les rênes devraient être davantage laissées aux praticiens. Ces dernières années, deux tentatives de maison de santé menées par la commune ont avorté, faute de professionnels. Même si la santé a percé dans cette campagne, le compte n'y est pas. « Les candidats n'esquissent pas une politique de santé mais des mesures, par-ci, par-là, pour satisfaire tout le monde », objecte le Dr Olivier-Koehret, président de l'association Soins coordonnés, qui a récemment publié un recueil baptisé Vaincre les déserts médicaux.
L'un de ses confrères, le Dr Michel Rameau, 58 ans, généraliste dans une maison de santé de Saint-Loup-sur-Semouse, les qualifie même de candidats « hors sol ». « Ils n'ont aucune réalité de terrain. Nous sommes en train de mettre en place une médecine de catastrophe », explique-t-il. Le Dr Rameau réalise entre 8 000 et 8 500 actes par an. Il ne pratique plus de consultations longues et complexes. Les patients consultent 15 minutes, pas une de plus. « Je reçois uniquement sur rendez-vous. Il faut dresser les gens pour qu'ils respectent le temps imparti. S'ils manquent leur consultation ou sont en retard, c'est dehors, souligne-t-il. La principale qualité du généraliste dans un désert médical, est de savoir dire "non". Il y a trop de sacrifices à faire. »
Pour un stage d'internat dans les déserts
En plein cœur de Conflans-sur-Lanterne, le Dr Mathilde Lugand, jeune généraliste de 31 ans, s'est installée fin 2014 dans l'espace santé du village après deux années de remplacement en milieu rural. Un choix qu'elle ne regrette pas le moins du monde. « Je touche à tout : gynécologie, pédiatrie, je suture aussi les plaies. J'ai plus de liberté, aucune pression et les patients ne sont pas des tickets », raconte-t-elle. Son village, une zone de revitalisation rurale, compte 550 habitants. L'espace santé qu'elle partage avec un chirurgien-dentiste, quatre infirmières et une orthophoniste fait salle comble. « Au bout de six mois, je ne pouvais plus prendre de nouveaux patients. J'en ai déclaré 800 en tant que médecin traitant sans compter les moins de 16 ans », confie-t-elle. Le Dr Lugand recherche un associé depuis deux ans, pour l'instant sans succès. Selon elle, le numerus clausus devrait être augmenté une bonne fois pour toutes. Elle suggère que les internes réalisent un stage obligatoire dans un milieu rural ou semi-rural. Un avis partagé par le Dr Olivier-Koehret. À ce stade, seule Marine Le Pen, candidate du Front National (FN) propose une telle mesure… « Malheureusement je ne peux que déplorer la montée de ce parti dans nos campagnes », tient à préciser le Dr Mathilde Lugand.
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