Sortir de la convention médicale : l’idée refait surface à chaque mouvement de grogne de la profession. Liberté tarifaire retrouvée, contraintes administratives allégées, moindre ingérence de la caisse… Le rêve, imaginent de nombreux médecins. Sauf que le choix d’exercer en secteur III a des conséquences pour les praticiens libéraux eux-mêmes et pour les patients. Comment faire le grand saut ? Quels sont les risques ? Le pari est-il tenable économiquement ? « Le Quotidien » vous donne quelques clefs pour y voir plus clair.
Comment sortir de la convention ?
Le déconventionnement, c’est simple… comme un courrier. Les modalités de la démarche sont précisées dans la convention médicale (article 79) et dans le code de la santé publique (article R. 162-54-9). Les candidats doivent adresser « un courrier recommandé avec accusé de réception à la caisse primaire d’assurance-maladie » dont ils dépendent. La décision s’applique un mois après réception du courrier par la Sécu. Le retour dans le giron conventionnel n’est pas plus compliqué. « Le médecin reste autorisé à formuler à tout moment une nouvelle demande d’adhésion en conservant le secteur d’exercice auquel il appartenait, au moment de sa sortie de la convention », précisent les textes officiels.
Quels tarifs un médecin en secteur III peut-il pratiquer ?
Les médecins non conventionnés disposent de toute liberté pour fixer leurs honoraires… dans certaines limites. S’ils ne sont plus assujettis aux tarifs opposables, ils restent soumis au code de déontologie médicale qui leur impose la notion de « tact et mesure ». Le conseil national de l’Ordre des médecins ne fournit aucun élément chiffré. Mais il rappelle que les honoraires doivent être fixés en fonction du « temps passé et de la complexité de l’acte, du service rendu et des possibilités financières du patient ». Rappelons que les médecins sont tenus d’afficher leurs tarifs dans leur cabinet.
Comment les patients sont-ils remboursés ?
L'Assurance-maladie rembourse les consultations et les actes sur la base d'un tarif dit « d'autorité », extrêmement faible et bien inférieur aux conditions de remboursement dans les secteurs I et II. Hors convention, la consultation est par exemple remboursée 0,61 euro chez un généraliste et 1,22 euro chez un spécialiste, quel que soit le montant facturé au patient. Pour les actes techniques médicaux, le tarif d’autorité est fixé à 16 % de la base de remboursement.
Au final, la note peut donc être très salée pour les patients, notamment ceux qui disposent de revenus modestes et n’ont pas les moyens de bénéficier d’une complémentaire prenant en charge les frais de santé des professionnels hors convention. En revanche, l’Assurance-maladie continue à rembourser selon les règles en vigueur les prescriptions de médicaments, d’examens biologiques et d’imagerie.
La fin de l’ingérence de l’Assurance-maladie ?
Même non conventionnés, les médecins doivent établir une feuille de soins mentionnant leur statut dès lors que l’acte délivré est pris en charge par l’Assurance-maladie. Cependant, ils ne sont plus soumis à l’obligation de télétransmission.
Le médecin déconventionné peut rester médecin traitant de ses patients mais ne perçoit plus le forfait patientèle afférent. De la même façon, il n’a plus accès aux autres rémunérations forfaitaires conventionnelles (forfait structure, contrats démographie ou rémunération sur objectifs de santé publique – Rosp). La prescription d‘arrêt de travail est toujours possible.
Les médecins non conventionnés restent dans le radar de l'Assurance-maladie pour ce qui concerne leurs pratiques médicales. Interrogée sur le sujet, la Sécu précise que « le contrôle médical porte sur tous les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et le service de l'ensemble des prestations de l'assurance-maladie, maternité et invalidité (L315-1 du CSS). Un médecin non conventionné peut donc faire l’objet de contrôle par l’Assurance-maladie pour non-respect des règles de prescription ».
Quelles cotisations sociales restent à charge du médecin ?
Les médecins hors convention ne bénéficient plus de la prise en charge par la caisse d’une partie de leurs cotisations sociales comme c’est le cas pour les praticiens en secteur I : assurance-maladie, allocations familiales, CSG, formation professionnelle… En revanche, ils sont dispensés de cotisations aux URPS selon l’article L4031-4 du code de la santé publique.
Les médecins déconventionnés doivent obligatoirement cotiser au régime de retraite de la Carmf, sans bénéficier de la prise en charge partielle de leurs cotisations. En revanche, ils ne cotisent pas aux allocations supplémentaires de vieillesse (ASV), également prises en charge aux deux tiers par la caisse en secteur I. Attention, le médecin devra donc compenser autrement cette absence de revenus (pension ASV) pendant la retraite.
Un médecin en secteur III peut-il être réquisitionné pour la permanence des soins ambulatoires ?
En pratique, les médecins non conventionnés ne participent pas à la PDS-A, l’Assurance-maladie n’étant pas en mesure de prendre en charge les honoraires de leurs consultations.
Combien de médecins exercent en secteur III ?
Le nombre actuel de médecins non conventionnés est modeste. Selon les chiffres communiqués par l’Assurance-maladie au « Quotidien », ils étaient 796 en 2021, soit 0,7 % de l’ensemble des médecins libéraux (dont 572 généralistes, 64 chirurgiens et 50 psychiatres).
Exercer en secteur III est-il économiquement viable ?
Peut-on faire tourner un cabinet médical en secteur III ? Selon un bilan établi par la Carmf en 2012, les revenus imposables (BNC) des médecins non conventionnés étaient nettement inférieurs à ceux de leurs homologues conventionnés : jusqu'à -70 % pour les spécialistes, -30 % pour les généralistes, soit une moyenne de -50 % toutes spécialités confondues.
Cela ne signifie pas pour autant que l’équation financière est insoluble. Sur ce point, l’estimation établie par le Dr Richard Talbot, membre de la Fédération des médecins de France, montre que le pari du déconventionnement peut être tenable économiquement. Sa démonstration est disponible sur le site de la FMF. Dans son analyse, le Dr Talbot, installé dans la Manche, se base sur l’activité moyenne d’un généraliste, selon les données de la Cnam : 4 900 actes par an et une consultation évaluée « en réel » à 32 euros (25 euros plus les forfaits et les avantages conventionnels). Dans ces conditions, le chiffre d’affaires d’un médecin atteint 156 800 euros (pour un BNC de 78 400). Si l’on tient compte des cotisations sociales à payer, un médecin non conventionné devrait, lui, atteindre un chiffre d’affaires de 162 000 euros pour maintenir l’équilibre.
Le Dr Talbot en arrive à ces conclusions : en maintenant son activité à 4 900 actes annuels (104 actes par semaine, 5 semaines de congés par an), un généraliste non conventionné doit facturer sa consultation 33 euros en moyenne pour conserver ses revenus. S’il baisse son activité de 20 % (82 actes par semaine), l’acte grimpe à 42 euros pour un chiffre d’affaires équivalent, et à 50 euros s’il la réduit de 33 %. « C’est le tarif d’une séance d’ostéopathie », écrit le Dr Talbot pour qui le « modèle économique du déconventionnement n’est pas du tout inenvisageable ». Le médecin ajoute que ses confrères sont libres de moduler ces tarifs en fonction de leur activité et de ce qu’ils pensent que leurs patients sont prêts à payer.
« Un acte qui a une forme de gravité », estime le patron de la Cnam
Interrogé sur le sujet du déconventionnement, Thomas Fatôme met en garde les médecins : « Un déconventionnement, c'est un acte qui a une forme de gravité, qui aboutit à empêcher la prise en charge des consultations par l'Assurance-maladie et qui conduit le professionnel à s'affranchir des règles d'une Sécurité sociale universelle [...] C'est un geste qui peut aussi pénaliser les confrères exerçant dans la zone territoriale du médecin concerné. Je fais confiance à l'esprit de responsabilité des médecins libéraux. Veut-on d'autres financeurs ? Relier l'accès aux soins à la capacité financière des assurés ? Ce n'est évidemment pas le choix de l'Assurance-maladie, ni celui des Français. »
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