Les effets pervers de la pression assurantielle

Comment la peur de l’accident médical a modifié les pratiques

Publié le 21/09/2009
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Crédit photo : PHANIE

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Crédit photo : PHANIE

«  LE MÉDECIN ne raisonne plus comme un médecin mais comme un actuaire. Face à un patient, il calcule le risque  », résume le Pr Laurent Sedel. Ce chirurgien orthopédique de l’AP-HP (Lariboisière), invité par le conseil d’orientation et de réflexion de l’assurance* (CORA) à participer à une table ronde sur la RC médicale, s’inquiète d’une dérive à l’américaine. «  En France on est habitué à réparer les gens. Aux États-Unis ils coupent et puis voilà. Là-bas, personne n’opère un avocat. On évolue vers cela  ».

En obstétrique, le risque est maximal, un accident peut coûter des millions. D’où la surprofusion des examens – scanner après une échographie, consultation de cardiologie avant une anesthésie, gazométrie sur cordon à la naissance... Cette médecine « défensive », c’est tout le paradoxe, n’est pas sans risque. Remboursée après 38 ans, l’amniocentèse entraîne 1 % de fausses couches. «  Parce qu’il y a une crainte, plus de fœtus aboutissent " dans le baquet " alors qu’ils n’ont rien demandé à personne. Si on fait trop d’amniocentèses, on a plus de risque de fausse couche que d’anomalie fœtale  », expose le Pr René Frydman, obstétricien à l’AP-HP (Antoine Béclère). Autre effet pervers : la peur du risque freine les innovations. «  Aujourd’hui, s’il fallait refaire la première FIV telle qu’on l’a faite en 1982, ce ne serait pas aussi facile  », enchaîne le Pr Frydman. Qui invite ses confrères à «  lutter contre la malpratique  », et les patients, à «  accepter le risque en l’absence d’alternative  ».

Les assureurs, après avoir répété – pour certains – que le risque obstétrical n’est plus assurable, s’inquiètent aujourd’hui de cette peur qui gagne tout le corps médical. «  Deux généralistes sur trois n’auront aucun problème dans leur carrière  », temporise Michel Dupuydauby, directeur général de la MACSF (Mutuelle d’assurance du corps de santé français). Le directeur général de la SHAM (Société hospitalière d'assurances mutuelles), Jean-Yves Nouy, relativise aussi : «  Il y a 12  000  réclamations par an en France sur un total de 500  millions d’actes médicaux, et 25  millions d’hospitalisations  ». Il en faudra plus pour restaurer la confiance des médecins libéraux. Et leur rendre la parole, si cadenassée. Tout le monde, pourtant, aurait à y gagner. «  On considère que 60  % des dossiers n’arriveraient pas en CRCI (commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, NDLR) s’il y avait un meilleur contact avec le médecin après la survenue d’un problème  », estime ainsi Marie-Solange Julia, présidente de l’Association d’aide aux victimes d’accidents médicaux.

La parole à deux médecins qui acceptent de se livrer sous couvert d’anonymat.

*Le Conseil d’orientation et de réflexion de l’assurance (CORA), créé en 2008 par la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), organise régulièrement des rencontres pour faciliter les échanges entre les assureurs et la société civile. Il est composé de 23 membres (philosophes, médecins, économistes, etc.) et présidé par Jean-Pierre Boisivon. Plus d’informations sur www.ffsa.fr (espace CORA).

 DELPHINE CHARDON

Source : lequotidiendumedecin.fr