« On le tient, le nouveau ! » Jacqueline, 92 ans, petite hypertension mais grand sens de l'humour, sourit de soulagement quand son médecin traitant, le Dr Michel Grenier, lui confirme que son successeur est tombé sous le charme d'une maison de Bergerac. C'est sûr, en juillet, le Dr Grenier pourra partir en retraite et Jacqueline continuera à recevoir des soins dans sa petite maison, où elle vit seule. Son nouveau médecin, jeune et Belge, prendra au petit matin la route de Périgueux, lui renouvellera ses ordonnances en demandant des nouvelles de la famille puis reviendra au cabinet médical pour entamer ses consultations. La routine pour le Dr Grenier pendant 41 ans.
Bergerac, 29 000 habitants, au cœur des vignobles de la Dordogne, subit une crise médicale sans précédent. Les généralistes du département ont 54 ans en moyenne ; 21 exercent à Bergerac, moitié moins qu'il y a vingt ans. Avec 6,6 généralistes pour 10 000 habitants, le canton affiche une densité deux fois moins élevée que dans l'Hexagone.
Patients vulnérables isolés
Depuis 2011, les médecins en poste ont vu leur patientèle grossir au rythme des départs de leurs confrères. Des habitants des hameaux alentour ont roulé dix, 20 puis 30 minutes jusqu'à Bergerac pour y être soignés. La cassure a lieu au printemps 2016. En quelques semaines, deux généralistes raccrochent leur stéthoscope et un troisième décède à 75 ans. Selon la mairie, 4 000 patients sont sur le carreau. Saturés, les libéraux n'ouvrent leur cabinet aux nouveaux visages que pour les urgences. « On a connu un afflux épouvantable de patients, se souvient le Dr Benoît Blanc, généraliste. À 8 heures moins 5, je n'avais pas le temps de me garer sur le parking que cinq personnes me sautaient dessus. »
Le Dr Grenier a retrouvé sa plaque arrachée d'agacement, geste marginal mais significatif. Quelque 1 600 patients sans médecin traitant se signalent à la mairie. « On a cherché partout un nouveau docteur, on les a tous appelés, il n'y avait rien à faire, se souvient Marie-Corinne Comin, jeune naturopathe. La solution, c'était l'hôpital direct. » « Sans médecin traitant, les patients vulnérables se sont retrouvés très isolés, ils ont eu l'impression qu'ils ne comptaient plus pour personne », analyse Ghislaine Laur, pharmacienne en centre-ville. Elle aussi a perdu son médecin : « il assurait des consultations jusqu'à 23 heures, il est mort d'épuisement ».
Pendant des mois, plusieurs centaines de Bergeracois ont attendu. La pénurie médicale était d'autant plus angoissante qu'à l'instar de Lucienne et Jacky Glenisson, plus d'un sur trois est âgé de plus de 60 ans. Après 50 ans de vie en Essonne, les deux retraités ont choisi le soleil du sud-ouest. Mais à leur arrivée fin 2016, les médecins travaillent à flux tendu, malgré les efforts de tous. Les pharmaciens ont obtenu de l'ARS le droit de renouveler pendant un mois les ordonnances les plus urgentes. Les généralistes ont fait de même pour 111 patients, reçus tous les samedis matin de l'été dans un local mis à leur disposition par l'hôpital.
Un centre de santé en renfort
C'est l'ouverture le 15 février d'un centre de santé municipal et l'arrivée de trois médecins en renfort de l'offre libérale qui a sauvé la retraite de Lucienne et Jacky. Le Dr Benoît Hartog, 29 ans, sera leur nouveau médecin traitant. Le jeune généraliste a accepté l'offre de la mairie par préférence pour la médecine salariée, plus confortable pour lui (il exerce 35 heures) et plus logique que le paiement à l'acte. « Ça ne change rien pour les patients », explique-t-il.
Deux autres médecins étrangers, les Drs Carmen Rodriguez de Bordons et Nicolas Livui Vasilescu font équipe avec lui. Les patients sont ravis. Près de 1 000 passages ont été enregistrés en un mois. « L'année dernière, les gens sans médecin m'arrêtaient dans la rue, ça n'arrive plus. », confie le maire Daniel Garrigue. La crise est contenue. Mais le centre de santé devra perdurer économiquement et de nouveaux médecins devront toujours remplacer les anciens.
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