Très attendue, la lettre de cadrage de la future négociation de la convention médicale 2023-2028 vient d'être adressée au directeur général de l’Assurance-maladie, Thomas Fatôme. Dans ce long courrier de cinq pages, François Braun, ministre de la Santé, a fixé en tandem avec Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, les « orientations » de ce nouveau round caisse/médecins, qui s'ouvre le 9 novembre prochain et qui doit s'achever avant la fin de mars 2023.
Dès l'introduction du courrier, les ministres ont annoncé la couleur : « ces négociations doivent être menées dans le respect d'un principe de solidarité entre toutes les composantes du système de santé (professionnels, citoyens et pouvoirs publics) ainsi que dans la reconnaissance et la valorisation des efforts consentis, selon une logique de droits et de devoirs ». Quatre axes prioritaires ont été donnés aux partenaires conventionnels.
Mieux prendre en charge les soins non programmés
Face aux difficultés d'accès aux soins grandissantes, l'attente du gouvernement est forte pour lutter « contre toutes les inégalités d'accès à la santé, qu'elles soient territoriales, sociales ou financières ». Garantir la prise en charge des besoins des Français en matière de soins non programmés est la priorité absolue affichée par le tandem gouvernemental. Pour ce faire, les partenaires conventionnels devront s'entendre pour déterminer « les conditions » en adaptant par exemple « les modalités de participation à la permanence des soins ambulatoires, les conditions de mobilisation des remplaçants et les modalités de rémunération de l'effection dans le cadre du service d'accès aux soins (SAS) en tirant les enseignements des mesures prises cet été pour faire face aux tensions hospitalières », suggèrent les ministres.
Pour éviter l'engorgement des urgences cet été, plusieurs mesures tarifaires ont été prises pour inciter les médecins libéraux à participer à la régulation médicale et à l'effection. Les généralistes régulateurs étaient par exemple rémunérés « 4G » de l'heure (100 euros bruts) et les effecteurs avaient pu facturer un supplément de 15 euros pour tout acte effectué à la demande de la régulation Samu/SAS, pour un patient (hors patientèle), dans la limite d'un plafond hebdomadaire. De telles mesures pourraient donc être reprises dans le cadre conventionnel.
Simplification des contrats incitatifs, consultations avancées…
La lutte contre les inégalités d'accès aux soins passe aussi par les mesures en faveur de l'installation et du maintien des médecins en activité en zones sous-denses. Pour cela, les partenaires conventionnels devront mieux « optimiser les aides démographiques, afin de les simplifier pour mieux prendre en compte les besoins des médecins ». Selon la Cnam, le bilan des quatre contrats incitatifs mis en place au travers de la convention médicale de 2016 est en demi-teinte. Dans son rapport « charges et produits » publié début juillet, la Cnam avait reconnu que ces contrats démographiques n'avaient « pas suffi à gommer les déséquilibres de répartition territoriale » et proposait de les « fusionner en un contrat unique ».
En complément de ces aides, le gouvernement appelle les partenaires conventionnels à organiser « la présence de médecins, notamment spécialistes, en dehors de leur lieu d'exercice habituel pour aller vers les territoires où l'offre n'est pas suffisante ». Cela passe par le développement des consultations avancées des spécialistes et la montée en charge des hôpitaux de proximité. Selon les besoins des territoires, « de nouveaux outils, incitatifs ou de régulation, pourront également prévoir des adaptations en matière de premier comme de second recours ». Pour les ministres, « la structuration d'équipes de soins spécialisés (ESS) devra figurer parmi ces outils ». Le développement de ce modèle d'organisation agile est revendiqué depuis un moment par la CSMF et Avenir Spé.
Autre outil avancé par l'équipe ministérielle pour inciter les médecins à s'installer en zones sous-denses : la rémunération. La lettre appelle les partenaires conventionnels à « valoriser la pratique et l'expertise médicale » pour jouer sur l'attractivité. Forfait, paiement à l'acte… « Les différents modes de rémunérations peuvent être utilisés à cette fin, en privilégiant les rémunérations valorisant un changement de pratiques », peut-on lire. Pour lutter contre les inégalités d'accès aux soins pour des raisons financières, François Braun et Agnès Firmin Le Bodo demandent enfin de revoir « les outils et leviers existants » en matière de régulation des dépassements d'honoraires, notamment les contrats Optam et Optam-Co.
Prévention, qualité et pertinence, lutte contre les fraudes
Comme annoncé, le gouvernement veut accroître la prévention dans l'activité médicale. De fait, l'outil existant de la rémunération sur objectif de santé publique (Rosp) doit évoluer « pour être principalement centrée sur ces enjeux de prévention avec un nombre plus limité d'indicateurs ». Sur ce sujet, le consensus entre les partenaires conventionnels pourrait être trouvé rapidement puisque les syndicats réclament depuis longtemps une simplification de cette rémunération forfaitaire. Autre objectif ministériel : la convention médicale devra inscrire la pertinence et l'efficience des soins au cœur des pratiques professionnelles. Le bon usage des produits de santé est cité en exemple. Pour le garantir, les ministres appellent à engager « une action partagée sur la maîtrise du volume des prescriptions ».
Dans la feuille de route, les ministres énumèrent d'autres exigences telles que la limitation de l'impact environnemental de l'activité des médecins ou encore la qualité de la facturation des actes médicaux. « Ces actions sur la qualité, la pertinence et la lutte contre la fraude permettront de dégager les marges de manœuvre nécessaires à la signature d'une convention ambitieuse s'inscrivant dans la trajectoire des finances publiques fixée par la loi », peut-on lire.
Libérer le temps médical
Pour permettre aux médecins d'augmenter leur patientèle, la convention médicale doit développer des moyens pour libérer du temps médical. Outre la simplification des contraintes administratives, les ministres demandent aux partenaires d'évaluer et d'adapter les dispositifs existants comme les assistants médicaux pour atteindre a minima l'objectif de 10 000 assistants médicaux d'ici 2025.
Pour le gouvernement, « le développement de la collaboration doit être un axe fort de cette négociation avec l'enjeu de définir de nouvelles répartitions des compétences, un renforcement des protocoles de coopération formalisés ». Pour favoriser cet exercice coordonné, les médecins volontaires qui fonctionnent en équipe devront être valorisés avec, par exemple, « une rémunération forfaitaire partiellement substitutive à l'acte ».
Modulation du forfait structure sur le numérique
Enfin, le déploiement du numérique en santé est aussi un axe prioritaire de la future convention. Pour assurer que les engagements pris dans le cadre conventionnel sur ce sujet soient effectifs (déploiement de l'ordonnance numérique d'ici 2024, alimentation du DMP, actualisation de la synthèse médicale du patient, utilisation des téléservices…), la lettre de cadrage invite l'Assurance-maladie à utiliser des leviers tels que « la modulation du forfait structure ». Cela promet des échanges musclés avec les syndicats, qui ont déjà refusé auparavant la prise en compte de l'exercice coordonné dans le calcul du forfait structure.
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre