Après celle des hospitaliers, le gouvernement doit-il aussi affronter l'exaspération des libéraux de santé ? Réuni lors de sa journée de rentrée, le Centre national des professions libérales de santé (CNPS), regroupant 18 syndicats représentatifs, réclame solennellement « un engagement financier pour la modernisation de l'organisation des soins de ville ».
« Nous refusons que les professionnels qui luttent contre la pandémie, qui assurent la continuité des soins et qui font face au rattrapage de nombreux actes reportés en raison du confinement soient pénalisés par le train de mesures contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale » (PLFSS 2021), a déclaré jeudi 8 octobre François Blanchecotte, président du CNPS. La veille, la CSMF, membre du CNPS, avait décidé de claquer la porte des négociations conventionnelles avec l'Assurance-maladie en signe de protestation.
Tarifs bloqués et actes gratuits
Pour expliquer son geste, chiffres à l'appui, le Dr Jean-Paul Ortiz, patron de la Conf' et vice-président du CNPS, a rappelé jeudi lors d'un point presse qu'en 2020, « le chiffre d'affaires des médecins a baissé d'1,5 milliard d'euros, alors que les charges des cabinets n'ont pas changé ». « Or le PLFSS prévoit dans les dépenses supplémentaires de 12,5 milliards d'euros seulement 300 millions d'euros pour la hausse de la rémunération des professionnels de santé libéraux. Il y aura seulement 150 millions pour la médecine, alors que l’hôpital va bénéficier de 28 milliards d’euros sur cinq ans. » Un article du projet de loi entérine aussi la prolongation de la convention médicale actuelle jusqu'au 31 mars 2023, repoussant d'autant toute évolution tarifaire significative aux yeux de la CSMF.
« Le C est passé à 25 euros en 2017. Est-ce que les médecins vont attendre six ans et demi avec les mêmes tarifs ? Aujourd'hui on ne peut plus attendre », prévient le Dr Ortiz. Face à ce choix politique « d'orienter le système de santé vers l'hôpital et d'abandonner la médecine de ville », la Conf' appelle les médecins et leurs représentants à se mobiliser pour faire bouger le gouvernement.
Une campagne de communication sur les réseaux sociaux et dans les cabinets médicaux par des affiches sera lancée pour expliquer aux patients le « mépris » du gouvernement pour le corps médical. La centrale confédérale a d'ores et déjà appelé les médecins à mettre un terme à tous les actes gratuits.
Chez les pharmaciens d'officine, le mécontentement est palpable. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et vice-président du CNPS, reconnaît « devoir demander aux pharmaciens d'exercer avec un brassard "pharmaciens en colère" ». « Nous avons assumé toutes les missions depuis le début de la crise. Mais comment peut-on vivre l'oubli complet pour notre profession dans les mesures financières du PLFSS ? », lance-t-il.
Stratégie électorale
Pour le moment, le positionnement de la CSMF n'a pas trouvé un écho favorable auprès de MG France, non adhérent au CNPS. Le syndicat des généralistes estime « qu'une sortie bruyante des négociations actuelles serait une posture, une gesticulation. ». Même s'il a dénoncé l'absence d’ambition du PLFSS « qui ne permet aucune revalorisation significative du revenu des médecins libéraux », le syndicat ne peut pas « prendre le risque de priver les médecins généralistes des revalorisations attendues », dont celles des visites à domicile à l'ordre du jour de la prochaine séance de négociation, mercredi 14 octobre.
L'incompréhension est également de taille pour le syndicat Avenir Spé, mené par un ancien de la CSMF, le Dr Patrick Gasser. « Cette annonce est très étonnante, juge ce dernier. Le syndicalisme devient irresponsable : on demande des négociations après le Ségur, et quand celles-ci débutent, on claque la porte à la deuxième séance. » Cette sortie relève d'une « pure stratégie électorale » à l'approche des élections URPS de mars 2021, estime le Dr Gasser. Selon lui, il était « fondamental » de négocier un avenant structuré sur la télémédecine, quitte à remettre le reste (dont le rattrapage tarifaire) à plus tard. « Là, le message est brouillé, on ne sait plus où on navigue ! »
Présent en visioconférence lors de cette journée de rentrée du CNPS, Thomas Fatome, directeur général de l'Assurance-maladie a tenté de rassurer les leaders syndicaux. Il dit comprendre « l'impatience et les points de comparaison » avec l'hôpital. « La discussion [dans le cadre des négociations conventionnelles, NDLR] a commencé à s'ouvrir. Les enveloppes financières doivent être prises globalement, y compris des financements liés au numérique prévus dans le Ségur dont une part substantielle reviendra aux libéraux », dit-il.
Le DG se dit aussi prêt à faire des propositions sur l'exercice coordonné ou les visites à domicile. « La question est de savoir si nous voulons que ces mesures s'appliquent rapidement en 2021. Nous avons eu quatre séances de travail. Nous allons rentrer dans le vif du sujet pour proposer des choses ambitieuses », promet-il.
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