Dans un nouveau livre*, Jean-Carles Grelier, député de la Sarthe, fustige « l'absence de vision et d'imagination des gouvernements successifs qui a conduit le système de santé au bord de l'abîme ». Il dénonce une « logique budgétaire mortifère et dépassée » et plaide en faveur d'une revalorisation financière de la médecine générale.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
JEAN-CARLES GRELIER : Lorsqu'on est ni médecin, ni spécialiste des questions de santé, comme je le suis, il est difficile de se faire entendre sur la profonde crise que traverse le système de santé. Dans le cadre de mes fonctions parlementaires, j'ai déposé une proposition de loi sur l'avenir de la santé qui préfigurait la loi de santé d'Agnès Buzyn. Elle a été rejetée. À multiples reprises, j'ai interpellé mes collègues parlementaires, y compris ceux de mon groupe politique, sur la nécessité de changer de regard sur le monde de la santé. Mais je n'y suis pas parvenu. Avec cet ouvrage, j'ai voulu être entendu à l'extérieur du monde politique et administratif. Depuis plus de 25 ans, tout le monde pense que la santé est une affaire de spécialistes, essentiellement une affaire de médecins. C'est cette espèce d'entre-soi que je souhaite briser.
Pour régler les difficultés d'accès aux soins, vous misez sur la mutualisation des compétences entre les professionnels de santé. En quoi cela va résoudre les problèmes ?
Cela ne va rien régler. C'est juste une mesure de bon sens, d'organisation territoriale pour pallier la pénurie médicale. Nous avons la chance d'avoir aujourd'hui une excellente formation de paramédicaux. Appuyons-nous sur cette excellence pour essayer de partager les tâches. Dans ma petite commune de La Ferté-Bernard [dont il est l'ancien maire, NDLR], si l'un de mes enfants n'est pas bien à 2 heures du matin, cela m'est égal de savoir si c'est un infirmier ou un médecin qui va le prendre en charge. L'objectif n'est pas d'enlever les compétences des uns et des autres mais de favoriser, lorsque c'est possible, un travail en coopération formalisée entre infirmiers, pharmaciens, médecins. Je suis rassuré de voir que les jeunes médecins l'ont bien compris. Ils vont devoir travailler avec les autres professionnels de santé dans un lien plus horizontal et moins hiérarchique.
Depuis plusieurs années, des députés réclament une régulation à l'installation. Pourquoi refusez-vous le conventionnement sélectif ?
Quand j'étais maire, j'étais favorable à la coercition. Mais une fois élu et investi dans les questions de santé, je me suis rendu compte que je me suis trompé. C'est l'exemple même d'une fausse bonne idée avec des relents démagogiques. Le conventionnement sélectif fera fuir les jeunes de la médecine générale libérale. Ils iront à l'hôpital qui offre aujourd'hui plus de 2 000 postes de salariés.
Avec une telle solution, on risque de renforcer l'idée d'une médecine à deux vitesses. La prise en charge sera immédiate pour ceux qui ont de l'argent et plus longue pour les autres. Par ailleurs, on nous ressort toujours l'argument selon lequel les études de médecine ont été payées par la République, ce qui réclame un retour sur investissement. Or, il ne faut pas oublier que les hôpitaux publics ne fonctionneraient ni les soirs, ni les jours fériés, ni les week-ends sans les internes qui ont des responsabilités de médecin payés à peine comme une infirmière. Donc l'argent que l'État donne aux étudiants, ils le lui rendent avec le service fait à l'hôpital.
Vous proposez que les médecins soient mieux rémunérés. À quelle hauteur ?
Un médecin spécialiste en pneumologie qui a fait 11 ans d'études est payé 45 euros la consultation et un spécialiste en médecine générale qui a fait le même nombre d'années d'études 25 euros. Pourquoi ? Rémunérer 45 euros les spécialistes en médecine généraliste me semble être un objectif atteignable, à condition de sortir de la logique purement budgétaire mortifère dans laquelle on a enfermé la santé.
Que proposez-vous pour éviter d'aggraver le trou de la Sécu ? Faut-il augmenter encore des cotisations ou des impôts ?
Depuis plus de 25 ans, depuis les ordonnances Juppé, le budget de la Sécu est enfermé dans une loi de financement spécifique. Et chaque année, les lois de financement de la Sécurité sociale se suivent et se ressemblent avec son lot de restrictions budgétaires sans tenir compte du vieillissement de la population. Qu'avons-nous récolté comme résultats avec ces décisions politiques : il n'y a plus de médecins généralistes, les hôpitaux tiennent à peine debout, les cliniques sont pour la plupart d'entre elles dans le rouge…
Alors pour sortir de cette spirale, je propose la suppression des ordonnances Juppé et l'établissement d'une loi de programmation en santé sur cinq ans comme pour la Défense ou l'Éducation nationale. Pour remettre à flot le système de santé, Bercy devrait y affecter prioritairement des crédits du budget de l'État. Par ailleurs, comment trouver de nouveaux financements pour la santé sans augmenter les cotisations, les impôts et la dette ? Il faut de l'imagination. Je propose par exemple d'instaurer une taxe de 0,25 % sur chacune des transactions financières électroniques. Cela rapporterait une recette nouvelle de 570,7 milliards d'euros.
* « Nous nous sommes tant trompés », éditions du Rocher, 192 pages, 16,90 euros
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique