Après l'échec des négociations, le règlement arbitral peut-il rendre service aux médecins ?

Par
Publié le 15/03/2023
Article réservé aux abonnés
Au terme de quatre mois de négociations infructueuses, la convention est dans l'impasse totale. L'arbitre a pris le relais pour rédiger avant fin mai un texte transitoire

Au terme de quatre mois de négociations infructueuses, la convention est dans l'impasse totale. L'arbitre a pris le relais pour rédiger avant fin mai un texte transitoire
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Les règles du jeu sont connues mais le suspense total. Faute de compromis conventionnel, charge revient à Annick Morel, 72 ans, énarque, ancienne inspectrice générale des affaires sociales (Igas) et ex-présidente du Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance-maladie (HCAAM), de rédiger le fameux règlement arbitral. Ce texte fera office de convention médicale pour cinq ans au maximum — les partenaires devant engager de nouvelles négociations « au plus tard » dans les deux ans suivant sa publication. Mais que faut-il en attendre ? Souvent redouté par le passé, ce règlement arbitral sera-t-il conservateur, reprendra-t-il des mesures qui ont braqué la profession, comme l'engagement territorial, ou comportera-t-il certaines avancées ?

Du côté de la Cnam, on en dit le minimum. « Il y a une arbitre indépendante, Annick Morel, qui auditionne toutes les parties prenantes : l’Assurance-maladie, les syndicats, les organismes complémentaires. Nous continuons à croire en la force du dialogue conventionnel », nous avait sobrement déclaré le DG de la Cnam Thomas Fatôme, juste après l'échec des négociations.

Pas la même chose qu'une convention 

Au ministère de la Santé, la musique est un peu plus désagréable. On rappelle le contexte de l'échec des négociations, avec la volonté de marquer qu'un règlement arbitral ne peut pas être aussi avantageux qu'une convention négociée en bonne et due forme. « L’arbitre est indépendante et neutre, insiste l’entourage de François Braun. Mais à ce stade, nous ne pouvons pas considérer que le ministre a complètement envie de donner la même chose dans un règlement arbitral que dans une négociation aboutie. Nous avons tous intérêt à ce qu'il y ait un bénéfice à signer ». 

Or, l'enveloppe sur la table était évaluée à 1,5 milliard d'euros, déjà jugée insuffisante par la profession. « La mission d'un règlement arbitral n'est pas de refaire le monde mais de solder de façon raisonnable des négociations qui ont échoué, tout en tenant compte des contraintes financières fixées par la loi de financement de la Sécu, insiste un grand spécialiste du système conventionnel. L'arbitre doit naviguer et c'est aujourd'hui très difficile car le climat est nerveux ».

Le dernier règlement arbitral pour les médecins libéraux remonte à mai 2010. Alors rédigé par Bertrand Fragonard, expert en la matière (il s'occupera aussi de celui des dentistes en 2017), son texte avait reconduit l'essentiel de la convention de 2005 (aides à l'installation, forfaits PDS, secteur II, etc.) mais il prévoyait aussi quelques incitations nouvelles à la télétransmission et, surtout, l'augmentation d’un euro du tarif de la consultation (soit le C à 23 euros) à partir du 1er janvier 2011 qui avait été promise par le gouvernement. Le texte était donc conservateur mais actait tout de même une revalorisation de l'acte de base, certes limitée et à effet l'année suivante. 

Reprendre le positif

Cette fois, le règlement arbitral devra avoir été rédigé pour le 28 mai au plus tard, pour une publication d’ici à fin juin après approbation par le ministre. Et du côté des syndicats de médecins, on veut croire que ce texte reprendra plusieurs mesures positives. 

Après avoir rencontré l'arbitre, le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, livre un sentiment plutôt favorable. « Ça s’est bien passé, Annick Morel était à l’écoute, juge le généraliste mayennais. Elle a montré la volonté d’avancer rapidement ». La branche généraliste de la Conf' a exprimé ses quatre revendications prioritaires pour le règlement arbitral : une « consultation socle à 30 euros » (36 euros pour les Drom), assortie d'une hiérarchisation des actes cliniques, sans contrepartie ; une « rémunération cumulative forfaitaire individuelle » pour chaque participation à un engagement collectif populationnel et territorial (PDS, SAS, soins non programmés, MSU, équipes de soins, etc.) ; le maintien du plafond maximum de 20 % de téléconsultation ; et la traduction immédiate des mesures qui étaient prévues visant à améliorer l'accès aux soins (assouplissement des assistants médicaux, bonus sur le forfait patientèle, soutien aux équipes de soins, aides ciblées dans les zones fragiles). Mais il est très peu probable que la besace finale soit aussi bien garnie. 

« La négociation a été un échec, il ne faudra pas rater le règlement arbitral sinon nous mettrons définitivement en péril l’accès aux soins de nos compatriotes », clame aussi le Dr Bruno Perrouty, président des Spécialistes-CSMF. Parmi ses objectifs, une revalorisation de 4 % du point travail, un assouplissement des règles de construction des équipes de soins spécialisées (ESS), etc. Et si le très décrié principe d'engagement territorial est repris, « je souhaite qu’il puisse être atteignable par l’ensemble des libéraux à l’échelle d’un territoire, et pas individuellement. À ce moment-là les revalorisations présentées auront du sens car elles seront accessibles à tous ».

Pomme de discorde

De fait, la question centrale à trancher est de savoir si certaines revalorisations d'honoraires doivent rester conditionnelles et liées au principe d'engagement territorial imaginé par la Cnam dans sa première mouture, traduction des droits et devoirs réclamés par l'exécutif. Et sur ce point, les médecins sont assez pessimistes. « Je ne pense pas que nous verrons un règlement arbitral avec des revalorisations sans aucun contrat d'engagement territorial. Sinon, cela serait un constat d’échec monstrueux pour Thomas Fatôme et Marguerite Cazeneuve », lâche le Dr Duquesnel. 

Du côté de MG France, ce sujet a été évoqué lors d'une réunion en visio d'explication interne avec la base, vendredi dernier. Et certains cadres ont été clairs sur le caractère forcément déceptif du règlement arbitral. « Le contrat d'engagement territorial (CET) est une volonté du gouvernement, a rappelé le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat de généralistes. N'imaginez donc pas qu'on donne 30 euros pour tout le monde sans conditions, ces sommes n'étaient pas budgétées… » L'arbitre pourrait toutefois reprendre certains indicateurs d'engagement territorial ou populationnel pour tester le dispositif pendant quelques mois, ce qui servirait de base objective aux futures négociations.

Ne pas punir

La FMF, qui a également rencontré l'arbitre, a perçu sa volonté de retrouver un peu de sérénité. « La bonne nouvelle, c’est que Mme Morel confirme que le règlement arbitral n’a pas vocation à punir les médecins de ne pas avoir signé la convention, mais à être un texte d’apaisement et de transition, relate le Dr Richard Talbot, expert juridique du syndicat. Il s’appuiera donc sur ce qui existe, sans changer le système de fond en comble, jusqu’à ce que de nouvelles négociations aboutissent. »

Car au-delà de ce règlement arbitral, par essence très provisoire, l'objectif des syndicats est déjà de reprendre les négociations, non pas dans deux ans mais rapidement, sur de nouvelles bases financières. MG France parie sur une relance des discussions au plus tard à l'automne, la CSMF veut attaquer un nouveau round « au plus vite ». D'ici-là, les mouvements de contestation (grève de la PDS, samedis matin, heures supplémentaires, etc.) risquent de se poursuivre pour maintenir au maximum la pression.  


Source : lequotidiendumedecin.fr