Les portraits de l'été

Pr Rodolphe Charles, une carrière tournée vers les populations invisibilisées par le système de soins

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Publié le 26/07/2021
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Cet été, la rédaction du Généraliste est partie à la rencontre de médecins engagés dans le monde associatif. Ce lundi, découvrez le parcours du Pr Rodolphe Charles, auprès notamment de populations éloignées du soin.

Crédit photo : DR

Dès le début de ses études de médecine, le Pr Rodolphe Charles a eu la médecine générale chevillée au corps. Pourtant, quand il démarre son cursus au milieu des années 80, la discipline n’est pas encore considérée comme une spécialité à part entière. Le futur généraliste, avec certains de ses camarades, monte même un collectif pour défendre la médecine générale. « Les études étaient tellement tournées vers la spécialité, à cette époque, que nous avions ressenti le besoin de défendre l’enseignement de la médecine générale et les médecins qui se destinaient à la discipline, afin que l’on ne sacrifie pas tout leur 2e cycle à la préparation de la spécialité », raconte le généraliste stéphanois de 55 ans.

Un service national déterminant

De son côté, il a en tout cas su très tôt qu’il se destinait à la médecine générale : « ce qui me plaisait dans la discipline, c’était le côté holistique, avec une médecine centrée patient mais avec son environnement, son corps autant que son psychisme, son habitus social, sa famille ». Et tout au long de sa carrière, le parcours du généraliste a illustré cette vision de la discipline.

Il reconnaît une fibre militante, mais son service national en tant qu’objecteur de conscience a eu un impact sur le reste de son parcours professionnel. « Je suis allé au Secours populaire et à Aides au début de l’épidémie du VIH, relate-t-il. On m’avait demandé de travailler autour d'expériences de santé communautaire, pour la prévention du sida dans les populations précaires. » Le Pr Charles a été marqué par cette expérience auprès de personnes qui s’occupaient de santé sans être forcément médecins et par la formation par les premiers patients formateurs… « Cela a transformé mon approche de la santé, sur la place du médecin dans la société et sur comment faire de la santé communautaire. »

Même si, de 1995 à 2008, il a eu un exercice « assez traditionnel de médecine de campagne » à Sail-sous-Couzan (Loire), tout au long de sa carrière, il n’a cessé de soigner « ceux qui en ont le plus besoin » mais peuvent être éloignés ou invisibilisés au sein du système de soins. Il a continué à travailler avec Aides et le Secours populaire notamment, mais il a aussi, entre autres, exercé à la Pass, pris en charge les adolescents de la Sauvegarde 42 ou encore les mineurs non accompagnés des centres du Conseil général.

Une consultation en langue des signes en cabinet libéral

Sa rencontre avec le Dr Hervé Bonnefond a aussi été déterminante. « C’est mon ancien interne, c’est quelqu’un de tout à fait passionnant qui m’a énormément appris et donné un nouveau regard sur la médecine. » À l’époque où il est dans son cabinet, il achève alors une formation complète en langue des signes. Le Dr Charles va aussi se former et, avec la communauté sourde et plusieurs associations, ils vont mettre en place des dispositifs communautaires pour la santé des sourds. « Au début, il s’agissait de soirées où nous faisions venir des interprètes pour parler de sujets santé. Puis, progressivement, nous avons construit une consultation en langue des signes dans un cabinet libéral à Saint-Étienne », raconte-t-il. Aujourd’hui, le Dr Rodolphe Charles travaille dans un Sessad (service d'éducation spéciale et de soins à domicile) de pédiatrie qui accompagne les enfants sourds de 0 à 6 ans. Il intervient aussi auprès d’enfants atteints de troubles du spectre de l’autisme dans un institut médico-éducatif (IME) et auprès d’adultes infirmes moteurs cérébraux et autistes dans des maisons d’accueil spécialisés (MAS).

Pour le généraliste stéphanois, cette implication dans la santé communautaire n’est pas un gros mot. « Aujourd’hui, certains entendent "communautarisme", ce qui inquiète. Mais en réalité, il faut y voir la notion de commun, une communauté de destin qui partage quelque chose. Les sourds, par exemple, ont un handicap linguistique qui rend nécessaire une action en direction de ce groupe, en aucun cas ils ne visent un "séparatisme" », explique-t-il. Et il a toujours considéré comme naturel et nécessaire de soigner les populations invisibilisées et discriminées, sans voir cela comme de la "médecine humanitaire", comme cela a pu être interprété par certains de ses collègues. « Ces patients, ce sont simplement des gens qui sont empêchés. Une médecine rémunérée à l’acte va forcément privilégier des personnes qui sont dans des faibles difficultés et une faible complexité. » Des actions spécifiques à destination des populations éloignées du soin sont donc nécessaires. « C’est toujours critiquable de se dire que parce que la société est discriminante, on va mettre en place des dispositifs spéciaux pour des soins qui, théoriquement, devraient être dispensés par tout le monde. Mais en attendant, faute de mieux, nous sommes obligés de procéder ainsi. »

Un engagement transmis aussi dans l'enseignement

Parallèlement à son exercice de généraliste, le Pr Rodolphe Charles a aussi été, rapidement et durant toute sa carrière, impliqué dans l’enseignement. Son parcours y a été à l’image de celui mené dans sa pratique clinique. Il devient chargé d’enseignement dans les années 2000 et évolue pendant 20 ans au sein de la faculté de Saint-Étienne. Il aura notamment participé à la création des masters 1 et 2 « les enjeux sociaux des politiques de santé » avec Sciences Po, ou au DU « accès à la santé et lutte contre les discriminations ». La crise sanitaire l’a un peu freiné dans son élan mais il essaie aujourd’hui, à Saint-Étienne, de construire des projets autour de l'initiative de Pascal Jacob (président de l’association Handidactique) pour mieux former les étudiants en médecine, pendant tout leur cursus, sur la question du handicap. « L’idée est de mettre en place des petites initiatives pour aller passer quatre ou cinq jours dans des lieux de vie avec des personnes handicapées, aller travailler dans une maison d’accueil spécialisée ou dans des stages un peu centrés handicap, etc. », explique le Dr Charles.

Myriam Dergham, étudiante en médecine à Saint-Étienne, a suivi le master 1 « enjeux sociaux des politiques de santé » et sa rencontre avec le Pr Charles a été déterminante. « Je lui dois beaucoup. Je n’en serais pas là sans lui car il me manquait cette partie sciences sociales, réflexive, dans le cursus de médecine. » La néointerne souligne également la qualité de passeur de relais du généraliste : « il sait reconnaître ceux qui ont envie et nous poussent à y aller », explique-t-elle. Une transmission essentielle pour le Stéphanois : « j’estime qu’il est important pour nous, les enseignants, d'accompagner les jeunes. Il m’est arrivé d’aller en pionnier sur certains sujets, dans certaines associations et ensuite de confier le travail à des jeunes. »

Son éclectisme dans son exercice de généraliste lui vaut aujourd’hui quelques difficultés. Le 1er septembre 2021, il ne disposera plus du titre de professeur associé de médecine générale. Depuis 2018, il n'est plus en cabinet et ne peut donc fournir de RIAP (relevé individuel d’activité et de prescriptions). Le Conseil national des universités (CNU) a donc décidé qu’il n’exerçait plus une activité de médecin généraliste, dont un enseignant-chercheur doit apporter la preuve. Lui n’a pourtant pas l’impression d’avoir jamais arrêté de faire autre chose que son métier. « Je suis tout à fait d’accord pour dire que le système français a besoin de médecins de famille en grande priorité. Mais il a aussi besoin d’une coloration diversifiée et de médecins qui s’engagent dans d’autres façons de soigner. »


Source : lequotidiendumedecin.fr