LE QUOTIDIEN : La création de votre plateforme ressource* sur la soumission chimique a-t-elle un lien direct avec le procès des viols de Mazan ?
LEÏLA CHAOUACHI : Le projet existe depuis 2021. Sa mise en œuvre coïncide avec le procès des viols de Mazan mais l’histoire de la lutte contre la soumission chimique et de la libération de la parole ne débute pas avec lui. Il y a eu un premier effet en 2017 du fait du mouvement #metoo et il y a eu ensuite un très fort tournant à l’automne 2021, lors du mouvement #balance ton bar, qui a commencé en Belgique puis s’est répandu en Europe. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de mettre place cette plateforme de libération de la parole. Entre 2021 et 2022, on a enregistré une augmentation de 69 % de déclarations de personnes pensant avoir été droguées à leur insu dans des bars ou discothèques et mettant en cause le GHB, surnommé la « drogue du violeur ». Les deux autres étapes importantes seront la prise en compte de la soumission chimique dans la sphère professionnelle ainsi que dans la sphère privée, comme avec Madame Pelicot. Mais il est clair que le procès des viols de Mazan est un point de non-retour. En deux mois, tout s'est accéléré : nous avons reçu plus de cent sollicitations.
Qu’est-ce que le procès de Mazan a changé ?
La spécificité de ce qu’a apporté le procès des viols de Mazan, c’est qu’il y a eu un état de sidération collective, y compris chez les professionnels de santé. Avant, c’était surtout les établissements festifs qui nous contactaient pour savoir quoi mettre en place. Là, on a constaté un électrochoc de la part du corps médical, chez les professionnels de santé de ville comme hospitaliers. Ce qui est extrêmement vertueux. Tous nous ont fait part de leur inquiétude de passer à côté de situations similaires. Ils souhaitent être en augmentation de compétences et en capacité de poser un diagnostic. Ce qu’ont retenu les soignants dans cette affaire, c’est l’errance diagnostique de Madame Pelicot qui a duré des années et des années.
Quels sont les profils des professionnels de santé qui vous contactent et quelles sont leurs demandes ?
Ce sont des médecins généralistes, des psychiatres, des gynécologues, des infectiologues, mais aussi des pharmaciens et des infirmières. Les appels sont généralement de trois ordres : soit pour nous décrire un cas concret, du type : « Je suis face à telle situation, je me pose la question de la marche à suivre ». Ce sont aussi des professionnels qui nous appellent sur des consultations anciennes. Ils nous disent : « Je me rends compte que je suis peut-être passé à côté d’une soumission chimique. Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? » Ils souhaitent obtenir des clés pour anticiper sur de possibles consultations à venir. Et enfin, il y a ceux qui n’ont aucune expérience de ces situations mais qui veulent déjà en parler pour être préparés et savoir comment y répondre. On parle bien sûr de l’isolement des victimes mais celui des professionnels de santé doit être lui aussi considéré. Il faut les aider à rompre avec cet isolement.
Comment les aidez-vous ?
Notre plateforme est nationale et nous travaillons en lien avec les Ordres des différents professionnels de santé qui font des communiqués rappelant notre existence. Pour les médecins, face à un doute, nous leur rappelons leur possibilité de prescrire des analyses toxicologiques auprès des laboratoires experts pour que ces analyses soient prises en charge par l’Assurance-maladie. Sans ces laboratoires, l’analyse n’a aucune pertinence. Par ailleurs, nous menons actuellement une campagne pour promouvoir l’orientation des victimes vers notre centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (Crafs) parce que nous sommes une profession hyperspécialisée. Sur cette plateforme, nous sommes toutes des femmes, ce qui est important pour le symbole parce qu’on sait que dans la grande majorité des cas, les agresseurs sont des hommes, même si les victimes peuvent être des femmes, des hommes, des personnes transgenres. Il est très important de savoir que l’interlocuteur qui échange avec les victimes sera une femme, pharmacologue, experte en santé publique et spécifiquement formée sur les violences sexistes et sexuelles et sur les psychotraumatismes.
* Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (Crafs). Le numéro de la plateforme nationale sur la soumission chimique est le 01 40 05 42 70 ou sur internet : lecrafs.com/declarer-une-agression/
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